mercredi 7 janvier 2015

À propos d’un texte tronqué exhibé par Muhammad Vâlsan


Dans Science Sacrée, numéro spécial René Guénon, l’article intitulé R. G. de la Saulaye, et signé Muhammad Vâlsan, fait allusion p. 73 à un « compte rendu » :
Maintenant, il faut souligner qu’il est au moins une circonstance où René Guénon a engagé l’autorité de son nom de noblesse “de la Saulaye”, affirmant concrètement par là-même l’efficience de la fonction qui s’y rattache. Un compte rendu, au cours duquel il fait état de la chute imminente du Khalifah ottoman, est paraphé de ses initiales suivies de son nom à particule (cf. doc. 7).

La fin de ce texte est visible sur la capture d’écran qui montre la signature :


http://www.sciencesacree.com/medias/files/2.-r.-g.-de-la-saulaye-muhammad-valsan-n-special-rene-guenon-de-la-revue-science-sacree-2003-.pdf

L’auteur de l’article remplit 90 pages de déblatérations sur des détails biographiques de René Guénon. Peut-être ne connaît-il pas cette précision :
P.-S. – Nous prions nos lecteurs de noter : […] 3° qu’il est pareillement inutile de nous demander des renseignements « biographiques » sur nous-même, attendu que rien de ce qui nous concerne personnellement n’appartient au public, et que d’ailleurs ces choses ne peuvent avoir pour personne le moindre intérêt véritable : la doctrine seule compte, et, devant elle, les individualités n’existent pas.
René Guénon, Voile d’Isis, novembre 1932, comptes rendus de revues.

C'est assez triste, mais ce n'est pas ce qui nous intéresse ici. À la note 247, nous sommes conviés à aller au : Science sacrée, nos 1-2, p. 52, où un extrait de cette lettre est reproduit. À l’endroit indiqué, nous trouvons une autre reproduction, avec une sélection un peu différente de celle avec la signature, intitulée « Extrait d’un compte-rendu du Gionale d’Italia du 11 février [1924 ?] »


http://www.sciencesacree.com/medias/files/5.-apercus-sur-les-indications-allusives-du-titre-messages-des-ouvertures-mekkoises-pour-la-connaissance-des-secrets-du-roi-et-du-royaume-muhammad-valsan-science-sacree-n-1-2-2001-.pdf

Et pp. 51-53 :
Dans la mesure où les faits historiques traduisent selon leur mode des réalités supérieures, il y a intérêt à en suivre le déroulement, et c’est la raison pour laquelle René Guénon leur accordait beaucoup d’attention comme le montre notamment sa réponse à un article du Giornale d’Italia, où il mentionnait précisément la fin proche de la fonction khalifale. Il évoquait à ce propos ce qu’est [reproduction de l'extrait scanné]8.
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8 – Document privé. […].

À l'issue de ce laborieux et vain jeu de piste, on constate que Muhammad Vâlsan ne comprend pas vraiment à quoi correspond le papier qu'il a actuellement dans les mains. C'est tantôt un compte rendu, tantôt une réponse à un article ? Est-ce qu'il a été publié ou non ? À quel journal était-il destiné ? Était-ce vraiment en 1924 ? Et avant tout, quel est donc son contenu ?

Nous pouvons du moins répondre à cette dernière question : le texte ne semble pas être un compte rendu à proprement parler, mais plus une réaction à un article, destinée à être publiée dans un journal sous forme de lettre ouverte. Le voici en entier :

[Message destiné au journal.]
Vous avez publié dans votre revue de la Presse étrangère, le 13 février, un article sur « les relations anglo-italiennes dans l’Afrique du Nord » d’après le Giornale d’Italia. Cet article a attiré mon attention, parce qu’il fait allusion à des événements sur lesquels je possède certains détails complémentaires, ayant connu quelques-uns des personnages qui y ont joué un rôle.


[Début de l’article.]
En tête de son numéro du 11 février dernier, le Giornale d’Italia publiait un article de son envoyé spécial au Caire sur « les relations anglo-italiennes dans l’Afrique du Nord ». L’organe de M. Sonnino semblait avoir surtout en vue de déprécier quelque peu, par cet article, la politique musulmane de M. Giolitti ; il est à regretter que cela lui ait fait négliger d’autres côtés de la question, pourtant fort intéressants, et sur lesquels il paraît d’ailleurs n’avoir été que très imparfaitement renseigné. Possédant certains détails complémentaires sur les événements dont il s’agit, et ayant même connu quelques-uns des personnages qui y ont joué un rôle, nous avons pensé qu’il pouvait être bon de remettre les choses au point.

Il est certain que la politique musulmane de l’Italie n’a pas eu tout le succès qu’en espérait M. Giolitti ; cependant, l’impartialité oblige à reconnaître que, sous l’inspiration de celui-ci, il fut fait des efforts très réels et très sérieux pour gagner l’esprit des populations islamiques. On peut citer notamment, en ce sens, la fondation d’une mosquée dédiée à la mémoire du roi Humbert, avec l’approbation des principales autorités religieuses, et édifiée au Caire, en face de la célèbre Université musulmane d’El-Azhar. Vers 1907 parut, au Caire également, une revue intitulée Il Convito, rédigée en italien et en arabe, et qui avait pour directeur un ami personnel de M. Giolitti, le Dr Enrico Insabato. Ce dernier, dont le Giornale d’Italia ne cite même pas le nom, fut un de ceux qui prirent la part la plus active aux négociations engagées de divers côtés, et en particulier avec les Senoussi ; mais il se trouva un personnage qui, tout en prétendant servir d’intermédiaire dans ces négociations, fit en réalité tout ce qu’il put pour les faire échouer, et qui y réussit. Ce personnage n’était autre que l’interprète de la légation italienne, Mohammed Elwi Bey, lequel, bien loin d’être « désintéressé et de bonne foi » comme le croit le correspondant du journal italien, était tout simplement un agent déguisé de l’Allemagne, placé là tout exprès pour contrecarrer les projets italiens, et qui ne jouait au mégalomane que pour mieux détourner l’attention de ses véritables agissements.

Ce qu’il faut que les Italiens sachent bien, en effet, c’est que l’échec d’une politique dont ils auraient pu retirer de très grands avantages est imputable, non à l’Angleterre comme ils paraissent enclins à le croire, et comme le déclare même très nettement le Giornale d’Italia, mais à l’Allemagne, qui fournissait les Senoussi d’armes et de munitions contre ses propres alliés, et qui, aujourd’hui encore, n’a certainement pas renoncé à ses intrigues, tant en Tripolitaine qu’en Érythrée. L’actuel Sheikh Senoussi était depuis fort longtemps sous l’influence allemande, bien que l’attitude qu’il a adoptée depuis peu permette de penser qu’il commence à s’en dégager ; peut-être la façon maladroite, et d’ailleurs parfaitement illégale du point de vue de la Shariyah, c’est-à-dire du droit musulman, dont le gouvernement de Constantinople a prétendu faire proclamer la guerre sainte, à l’instigation de l’Allemagne, n’est-elle pas tout à fait étrangère à cet heureux changement. Ce qu’il y a de certain, en tout cas, c’est que le Sheikh Senoussi, pour s’être fait l’instrument des ambitions allemandes, a été désavoué par beaucoup de ses anciens partisans, et même par des membres de sa propre famille, qui résident à Louqsor. Ce qu’on lui a surtout reproché, c’est d’avoir laissé perdre la Barakah (influence spirituelle) de son Ordre pour le réduire à n’être plus qu’une organisation à peu près exclusivement politique. Aussi les Senoussi sont-ils privés maintenant de toute la considération dont ils ont pu jouir autrefois dans l’Islam, et un fettwa d’excommunication a même été lancé contre eux à la suite d’incidents qu’il serait trop long de rapporter ici en détail. Nous ajouterons simplement, à ce propos, qu’il y a un certain « panislamisme », celui des Jeunes-Turcs en particulier, qui n’est en réalité qu’un pangermanisme déguisé, et qui n’a rien de commun, si ce n’est une dénomination usurpée, avec le véritable panislamisme traditionnel, affirmation purement doctrinale d’un droit tout idéal, sans aucun rapport avec des visées politiques quelconques. Ce qui donne à cette remarque toute sa valeur, dans les circonstances actuelles, ce sont les rapports étroits que présente cette question du panislamisme avec celle du Khalifat, qui s’est déjà posée avec une certaine acuité au cours de ces dernière années, et qui devra forcément être résolue après la chute, aujourd’hui imminente, de l’empire ottoman. Un tel problème est trop grave et d’une trop haute importance, au point de vue même de l’influence française dans les pays musulmans, pour qu’il nous soit possible de nous en désintéresser.



Au passage, Le Sphinx donne des précisions sur ce fettwa :
Nous signalerons à ce propos un fait assez curieux, et peu connu, de la récente histoire des sociétés secrètes musulmanes : le fettwa (décret) d’excommunication qui fut lancé, il y a quelques années, contre les Senoussis, ne fut motivé que par un seul chef d’accusation : celui d’avoir laissé mourir d’inanition, dans le désert, un nombre respectable de chameaux.
Le Sphinx, La France Antimaçonnique, 7 mai 1914, Dernière réponse à M. Gustave Bord, note 6

Et le panislamisme est notamment évoqué par René Guénon dans le passage suivant, qui complète le texte ci-dessus :
On a coutume aussi d’agiter à tort et à travers le spectre du « panislamisme » ; ici, la crainte est sans doute moins absolument dénuée de fondement, car les peuples musulmans, occupant une situation intermédiaire entre l’Orient et l’Occident, ont à la fois certains traits de l’un et de l’autre, et ils ont notamment un esprit beaucoup plus combatif que celui des purs Orientaux ; mais enfin il ne faut rien exagérer. Le vrai panislamisme est avant tout une affirmation de principe, d’un caractère essentiellement doctrinal ; pour qu’il prenne la forme d’une revendication politique, il faut que les Européens aient commis bien des maladresses ; en tout cas, il n’a rien de commun avec un « nationalisme » quelconque, qui est tout à fait incompatible avec les conceptions fondamentales de l’Islam. En somme, dans bien des cas (et nous pensons surtout ici à l’Afrique du Nord), une politique d’« association » bien comprise, respectant intégralement la législation islamique, et impliquant une renonciation définitive à toute tentative d’« assimilation », suffirait probablement à écarter le danger, si danger il y a ; quand on songe par exemple que les conditions imposées pour obtenir la naturalisation française équivalent tout simplement à une abjuration (et il y aurait bien d’autres faits à citer dans le même ordre), on ne peut s’étonner qu’il y ait fréquemment des heurts et des difficultés qu’une plus juste compréhension des choses pourrait éviter très aisément ; mais, encore une fois, c’est précisément cette compréhension qui manque tout à fait aux Européens.
Orient et Occident (1924), 1re partie, ch. IV




Concernant le texte, nous pensons qu'il est bien antérieur à 1924, car il parle de L’actuel Sheikh Senoussi depuis fort longtemps sous l’influence allemande. Cela se réfère manifestement à celui qui a été en place de 1902 à 1916, et non le suivant. D'autre part, la proclamation de la pseudo guerre sainte par le gouvernement de Constantinople semble être récente à l'époque du texte, et elle date de novembre 1914 :
http://www.imprescriptible.fr/documents/djihad.htm


Il ne reste donc que 1915 ou 1916 comme dates possibles. Nous pensons que c'est 1916, mais ce serait à vérifier. Si quelqu'un possédant des informations complémentaires avait l'obligeance de nous les signaler (le nom du journal dans lequel a été publiée la traduction de l'article du Giornale d'Italia et la confirmation ou l'infirmation de la date), nous lui serions reconnaissant et pourrions pousser les recherches plus loin, pourquoi pas trouver l'article en question, et aussi vérifier si ce texte de Guénon a bien été publié ou non.



15/04/2015 - Complément :
https://oeuvre-de-rene-guenon.blogspot.fr/2015/04/a-propos-dun-texte-tronque-exhibe-par.html