vendredi 17 juin 2011

Mise au point sur la contre-tradition 2 - Alexandre Douguine

Cet article est la suite de celui-ci :
https://oeuvre-de-rene-guenon.blogspot.com/2011/06/mise-au-point-sur-la-contre-tradition-1.html



Alexandre Guelievitch Douguine (en russe : Александр Гельевич Дугин), né à Moscou le 7 janvier 1962, dans une famille de militaires, est un théoricien politique russe. Son père était officier du KGB et sa mère médecin.
Douguine est un patriote russe passionné, un intellectuel et un fidèle de la religion orthodoxe (dans la branche traditionaliste des « vieux croyants »). Il est marié et est père de deux enfants. Polyglotte, il parle neuf langues, et a obtenu un doctorat en histoire de la science, en 2001, et un second en science politique, en 2004. Il a installé son bureau à Moscou, à la Bibliothèque 27, en face du monastère Novodevitchi, où sont enterrés nombre de personnages célèbres. Il est devenu l’un des intellectuels les plus influents de la nouvelle Russie.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Douguine

Douguine avait déjà été évoqué ici auparavant :
https://oeuvre-de-rene-guenon.blogspot.fr/2011/05/la-pseudo-tradition-de-laurent-james.html


Il est la source à laquelle s'est abreuvé Israel Shamir dans le passage délirant sur la contre-tradition.

Mais Alexandre Douguine a proposé une interprétation différente, c’est entre elles que certaines religions agissent mutuellement à la manière de groupes de « contre-initiation ». Le judaïsme et le christianisme constituent un couple de ces religions ainsi mutuellement contre-initiées. Elles sont apparues et se sont développées en même temps, dans les premiers siècles après Jésus Christ, époque où les Pères de l’Eglise, d’un côté, et les Tanaïm et les Amoraïm, de l’autre, composaient, en pleine connaissance de leurs adversaires, leurs commentaires de la Bible mutuellement anathémisants.

Déjà, en évoquant ces oppositions entre représentants religieux, Douguine ne se situe qu'à un point de vue exotérique. Ça n'est pas du tout de l'ordre de l'initiation, ou même de la contre initiation dont il prétend parler. Cette remarque trahit simplement la négation de l'ésotérisme judaïque et de l'ésotérisme chrétien, en réduisant les deux traditions correspondantes à leur exotérisme. Par exemple, à propos du second :

René Guénon :
La méprise qu’on commet trop souvent à cet égard, et dont nous trouvons jusqu’à un certain point l’écho dans l’article de M. Bédarride, nous paraît avoir deux motifs principaux, dont le premier est que, généralement, on conçoit assez mal ce qu’était le catholicisme au moyen âge. Il ne faudrait pas oublier que, comme il y a un ésotérisme musulman, il y avait aussi à cette époque un ésotérisme catholique, nous voulons dire un ésotérisme prenant sa base et son point d’appui dans les symboles et les rites de la religion catholique, et se superposant à celle-ci sans s’y opposer en aucune façon ; et il n’est pas douteux que certains Ordres religieux furent fort loin d’être étrangers à cet ésotérisme. Si la tendance de la plupart des catholiques actuels est de nier l’existence de ces choses, cela prouve seulement qu’ils ne sont pas mieux informés à cet égard que le reste de nos contemporains.

Le second motif de l’erreur que nous signalons, c’est qu’on s’imagine que ce qui se cache sous les symboles, ce sont presque uniquement des conceptions sociales ou politiques (1) ; il s’agit de bien autre chose que cela en réalité.
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1 - Cette façon de voir est en grande partie celle d’Aroux et de Rossetti, en ce qui concerne l’interprétation de Dante, et on la rencontre aussi en bien des passages de l’Histoire de la Magie d’Éliphas Lévi.
Etudes sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, A propos des constructeurs du moyen-âge


Cette division profonde dont parle Douguine, c'est plutôt le propre des sectes :

René Guénon :
Nous ferons remarquer ensuite que qui dit « secte » dit nécessairement, par l’étymologie même du mot, scission ou division ; et, effectivement, les « sectes » sont bien des divisions engendrées, au sein d’une religion, par des divergences plus ou moins profondes entre ses membres. Par conséquent, les « sectes » sont forcément multiplicité (1), et leur existence implique un éloignement du principe, dont l’ésotérisme est au contraire, par sa nature même, plus proche que la religion et plus généralement l’exotérisme, même exempts de toute déviation. C’est en effet par l’ésotérisme que s’unifient toutes les doctrines traditionnelles, au-delà des différences, d’ailleurs nécessaires dans leur ordre propre, de leurs formes extérieures ; et, à ce point de vue, non seulement les organisations initiatiques ne sont point des « sectes », mais elles en sont même exactement le contraire.
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1 - Ceci montre la fausseté radicale des conceptions de ceux qui, comme cela se rencontre fréquemment surtout parmi les écrivains « antimaçonniques », parlent de « la Secte », au singulier et avec une majuscule, comme d’une sorte d’ « entité » en laquelle leur imagination incarne tout ce à quoi ils ont voué quelque haine ; le fait que les mots arrivent ainsi à perdre complètement leur sens légitime est d’ailleurs, redisons-le encore à ce propos, une des caractéristiques du désordre mental de notre époque.
Aperçus sur l’Initiation, chapitre XI – Organisations initiatiques et sectes religieuses


Opposition complètement différente de la nécessaire distinction entre les formes traditionnelles:

René Guénon :
Les formes traditionnelles peuvent être comparées à des voies qui conduisent toutes à un même but (1), mais qui, en tant que voies, n’en sont pas moins distinctes ; il est évident qu’on n’en peut suivre plusieurs à la fois, et que, lorsqu’on s’est engagé dans l’une d’elles, il convient de la suivre jusqu’au bout et sans s’en écarter, car vouloir passer de l’une à l’autre serait bien le meilleur moyen de ne pas avancer en réalité, sinon même de risquer de s’égarer tout à fait. Il n’y a que celui qui est parvenu au terme qui, par là même, domine toutes les voies, et cela parce qu’il n’a plus à les suivre ; il pourra donc, s’il y a lieu, pratiquer indistinctement toutes les formes, mais précisément parce qu’il les a dépassées et que, pour lui, elles sont désormais unifiées dans leur principe commun. Généralement, d’ailleurs, il continuera alors à s’en tenir extérieurement à une forme définie, ne serait-ce qu’à titre d’« exemple » pour ceux qui l’entourent et qui ne sont pas parvenus au même point que lui ; mais, si des circonstances particulières viennent à l’exiger, il pourra tout aussi bien participer à d’autres formes, puisque, de ce point ou il est, il n’y a plus entre elles aucune différence réelle. Du reste, dès lors que ces formes sont ainsi unifiées pour lui, il ne saurait plus aucunement y avoir en cela mélange ou confusion quelconque, ce qui suppose nécessairement l’existence de la diversité comme telle ; et, encore une fois, il s’agit de celui-là seul qui est effectivement au delà de cette diversité : les formes, pour lui, n’ont plus le caractère de voies ou de moyens, dont il n’a plus besoin, et elles ne subsistent plus qu’en tant qu’expressions de la Vérité une, expressions dont il est tout aussi légitime de se servir suivant les circonstances qu’il l’est de parler en différentes langues pour se faire comprendre de ceux à qui l’on s’adresse (2).
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1 - Pour être tout à fait exact, il conviendrait d’ajouter ici : à la condition qu’elles soient complètes, c’est-à-dire qu’elles comportent non seulement la partie exotérique, mais aussi la partie ésotérique et initiatique ; il en est d’ailleurs toujours ainsi en principe, mais, en fait, il peut arriver que, par une sorte de dégénérescence, cette seconde partie soit oubliée et en quelque sorte perdue.
2 - C’est précisément là ce que signifie en réalité, au point de vue initiatique, ce qu’on appelle le « don des langues », sur lequel nous reviendrons plus loin.
Aperçus sur l’Initiation, chapitre VIII – Contre le mélange des formes traditionnelles




La thèse de Douguine est vraiment subversive. Le livre où il a écrit ça est apparemment uniquement sorti en russe :
Metafizika blagoi vesti: Pravoslavnyi ezoterizm, Arktogeia (1996)

Un résumé de ce livre :
Le livre propose l'approche traditionnaliste (dans la ligne de R.Guenon) a la tradition chretienne orthodoxe.
Les aspects initiatiques et metaphysiques de l'Eglise Orientale greco-russe.
La these fondamentale: l'Eglise Ortodoxe est la tradition initiatique qui depasse les limites de la religion. C'est la tradition au sens large ou sont present les cotes exoteriques et les cotes esoteriques.
http://www.arctogaia.com/public/bies.htm

Les citations apportées ici sont donc parfaitement justifiées, Douguine se revendique de Guénon. Ça ne l'empêche pas au passage de confondre initiation et religion, entre autres, pour tenter de mettre le Christianisme Orthodoxe dans une position de supériorité par rapport aux autres formes traditionnelles (ce dont il n'a nullement besoin).

Quant au piège du traditionalisme, il est dénoncé et décortiqué dans le Règne de la Quantité (notamment au chapitre XXXI).






Toujours au sujet de la contre-tradition, voici une assez instructive publication de Alexandre Douguine :

Exoteric and Esoteric Judaism

Isaac Luria and Sabbatai Zevi in Russian Orthodoxy

Professor Alexander Dugin


Dear members of donmeh-INTERNET,

I am very glad to receive the first answers to my questions and I am waiting with great joy for the possible remarks from other enlightened persons.

I occupied myself with the great themes of Tradition for many years. I have written some books on the sacral geography, metaphysic of Orthodox Church, geopolitics and so on. Besides Rene Guenon I was also reading the precious books of Gershom Scholem, whom I consider to be the greatest traditionalist thinker. I am happy that I can develop some of the considerations on Qabbalah tradition that I have collected through the years.

I suppose that the main problem in correct analysis of Tradition, esoterism and so on is the individuation of two general approaches -- manifestationist and creationist. All the rest is based on this division. If we manage to identificate correctly these approaches in traditionalist doctrines we would grasp the essential.

In my book "The metaphysics of the Good Message" I have developped the thesis that correct understaning of Christian doctrine in its metaphysical level is possible only through confronting the creationist and manifestationist motives in early Church fathers writings.  Manifestationism is Hellinic (platonic), creationism is properly Judaic.  The Christian Church makes very particular superposition of both, refusing Hellenic and Judaic approaches taken separately.

Next step. In his writings Guenon affirms implicitely that manifestationist approach is related to esoterism, creationist approach to exoterism and religion as very particular western form of Tradition originated in abrahamic and semitic sources.

With all this we are dealing in study of Isaak Luria's Qabbalah, sabbataism, hassidism, masonic and occult movements.

I propose such a model. The exoteric judaism, rabbinic version is pure form of creationist approach up to extreme rationalist consequences, up to Maimonid position that could be regarded as early sign of modern world rationalist-positivist conception of reality. Creationism leads to entire desacralisation of world, because it is based on the supposition of abscence of any possibility to creature to become the God. It is the sine qua non of strict monotheism.

The early Qabbalah (Moishe de Lion and so on) is clearly manifestationist teaching that contradicts openly the very spirit of exoteric creationist judaism. That was reason to regard early Qabbalah as something alien to orthodox jewry (the closely studied by Scholem).  But up to certain moment two trends in judaism - qabbalistic and exoterist-rabbinic - coexisted without bringing  their respective position in common terminological field and confronting theme there. Creationists approach of exoterics made critic of meqabbalim basing on its own presupposition refusing understand the main thesis of Qabbalah that implicitely affired manifestationist position. Qabbalah answered by the symmetrical step, interpreting classic judaic religion subjects and sumbols in its own manifestationist spirit without individuating the main subjacent problem in specifical qabbalistic language.

Such situation ended drastically with Isaak Luria and his Safed school. Luria in his particular doctrine put the conflict of these two "operational systems" in the center of qabbalistic attention.

Zim-zum conception is the essence of creationist approach interpretated in mythological qabbalaistic manner. Conctracting of Godhead is precisely the only possibility to explain in metaphysical terms the typically creationist point of view on the origins of CREATED (not MANIFESTED!) world.

Second emanation of Azilut light that has caused "cheverit haKelim" is MANIFESTATION process that has entered in deadly conflict with zim-zum consequences, with the state of tehiru (three worlds of BYA) and reshimu.

Reshimu is essential ontological landscape of tehiru. It is not casual phenomena. Tehiru is nihil (appearing with the self-contracting of Godhead) and not the world, it can became a world only with something additional. Theese additions to tehiru are double: reshimu is creationist seal (God as Pure Transcendance), Light, the Godhaed as Immanent Transcendance (that broke the vessels) is manifestationist seal (our sparks).

Before Luria Qabbalah simply ignored the catastrophic motive of profoundly judaic understanding of creation, repeating the hellenico-platonic attitude of Philon. Now in Lurian Qabbalah the traumatic subject of the profound roots of Evil was introduced in the center of metaphysical attention.

It is very significant that Luria himself hasn't made the last discusion on the subject. Tikkun conception was added by his disciples.

The culmination in the resolving of this problem was Sabbatai Zevi. In some aspect that was repetition of early Christian metaphysical situation that gave (among other consequences) rise to gnostic conclusions.

Sabbatai Zevi (and Nathan de Gaza) has proposed the solution. Manifestationist approach was jugded good and right, the thoughtless serpents (reshimu, finally judaic orthodoxy) were considered as evil ones. Not absoluteley evil, but evil nevertheless. The attitude to orthodox judaism in sabbatainist cercles was very similar to early Christian groups to the same. Not the negation, but absorption in the highest synthesis. The fury and hate was logical answer from rabbinic orthodoxy. In both cases.

In sabbataism the metaphysical traumatic duality is very clear and it is most interesting point in all this. In later hassidism the trauma is perceived with less clarity, the hassidic Qabbalah repeated incertain evasive attitude to the orthodoxy of per-Lurian zoharic qabbalist. It is the metaphysical reason of the existing hesitation from the hassids to aknoweldge Sabbatai Zevi, Yakob Leib Frank and so on.

On the other hand sabbataist methaphysical approach is very close to some non-judaic metaphysical trends - above all Christian-Orthodox (hesychaste), gnostic, sufi-ismaeli-shiah.

With my best wishes to all members of this extremely interesing list,

Yours in sparks,

A.Dugin

About the author: Professor Alexander Dugin is an occultist and mystic of the Guenon Traditionalist orientation. He is opposed to the Western secular materialistic society, and an advocate of the traditional values of Euroasian civilization. His web site is called Arctogaia, meaning The North Land, refering to a mythical polar continent and spiritual axis.
Source :
http://www.kheper.net/topics/Kabbalah/Exoteric_vs_Mystical.html



Quelques précisions :

Dönmeh (Turkish: dönme) refers to a group of crypto-Jews in the Ottoman Empire and present-day Turkey who openly affiliated with Islam and secretly practiced a form of Judaism called Sabbateanism. The group originated during and soon after the era of Sabbatai Zevi, a 17th-century Jewish kabbalist who claimed to be the Messiah and was eventually forced by the Ottoman Sultan Mehmed IV to become a Muslim. After Zevi's conversion, a number of Jews followed him into Islam and became the Dönmeh.
http://en.wikipedia.org/wiki/D%C3%B6nmeh





Sabbataï Tsevi (ou Tzvi, ou Zevi), (שבתאי צבי Shabtaï Tzvi en hébreu) est né à Smyrne (actuellement Izmir, en Turquie) en 1626, le 9 Av (jour de deuil commémorant la destruction du temple de Jérusalem). Il fut au XVIIe siècle considéré par beaucoup de Juifs comme le messie. Il est le fondateur de la secte turque des Sabbatéens ou Dönme.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sabbata%C3%AF_Tsevi





Jacob Frank, ou Jakob Franck (1726-1791), fut un prétendant juif à la messianité à la suite de Sabbataï Tsevi.
Ses disciples firent sécession avec le judaïsme, et créèrent un mouvement empreint de christianisme, le frankisme.
http://en.wikipedia.org/wiki/Jacob_Frank





Mise à jour, parce qu'apparemment le texte de Douguine reproduit plus haut n'est pas clair :

Le sujet est censé traiter de ça :
With all this we are dealing in study of Isaak Luria's Qabbalah, sabbataism, hassidism, masonic and occult movements.
Aucune distinction n'est faite entre la Kabbale et la Maçonnerie qui sont des formes traditionnelles, légitimes, et le reste. Le reste ce sont les sectes de deux faux messies, et les mouvements occultistes en général.
 
In my book "The metaphysics of the Good Message" I have developped the thesis that correct understaning of Christian doctrine in its metaphysical level is possible only through confronting the creationist and manifestationist motives in early Church fathers writings.  Manifestationism is Hellinic (platonic), creationism is properly Judaic.  The Christian Church makes very particular superposition of both, refusing Hellenic and Judaic approaches taken separately.
Le Christianisme n'est même pas vu comme une forme traditionnelle en soi, mais comme un hybride sans valeur propre, à moitié héllenique ("manifestationniste"), à moitié juif ("créationniste"). Ça n'est évidemment pas de la métaphysique que fait là Douguine, c'est de la salade philosophique au mieux, où tout est mis pèle mêle sur le même plan sans aucune distinction.

The culmination in the resolving of this problem was Sabbatai Zevi.
Ca décrit bien le sabbatéisme comme une solution aux "contradictions" du Judaïsme. C'est d'ailleurs en relation avec le fait de d'opposer les formes traditionnelles entre elles comme le réclame Douguine (évaluer le Judaïsme d'un point de vue pseudo-chrétien, "hélléno-juif").





Se revendiquer de petits antéchrists tels que Sabbataï Tsevi et Jacob Frank n'est sûrement pas traditionnel, ça n'est même pas traditionaliste, mais c'est bien contre-traditionnel. On comprend alors pourquoi Alexandre Douguine attribue aux formes traditionnelles les caractéristiques des sectes, puisque c'est le point de vue légitime pour lui.


Concluons par ce passage, qui convient parfaitement à son cas :

René Guénon :
Évidemment, de tels êtres ne peuvent jamais être des mécanistes ni des matérialistes, ni même des « progressistes » ou des « évolutionnistes » au sens vulgaire de ces mots, et, quand ils lancent dans le monde les idées que ceux-ci expriment, ils le trompent sciemment ; mais ceci ne concerne en somme que l’« antitradition » négative, qui n’est pour eux qu’un moyen et non un but, et ils pourraient, tout comme d’autres, chercher à excuser cette tromperie en disant que « la fin justifie les moyens ». Leur erreur est d’un ordre beaucoup plus profond que celle des hommes qu’ils influencent et « suggestionnent » par de telles idées, car elle n’est pas autre chose que la conséquence même de leur ignorance totale et invincible de la vraie nature de toute spiritualité ; c’est pourquoi il est beaucoup plus difficile de dire exactement jusqu’à quel point ils peuvent être conscients de la fausseté de la « contre-tradition » qu’ils visent à constituer, puisqu’ils peuvent croire très réellement qu’en cela ils s’opposent à l’esprit, tel qu’il se manifeste dans toute tradition normale et régulière, et qu’ils se situent au même niveau que ceux qui le représentent en ce monde ; et, en ce sens, l’Antéchrist sera assurément le plus « illusionné » de tous les êtres. Cette illusion a sa racine dans l’erreur « dualiste » dont nous avons parlé ; et le dualisme, sous une forme ou sous une autre, est le fait de tous ceux dont l’horizon s’arrête à certaines limites, fût-ce celles du monde manifesté tout entier, et qui, ne pouvant ainsi résoudre, en la ramenant à un principe supérieur, la dualité qu’ils constatent en toutes choses à l’intérieur de ces limites, la croient vraiment irréductible et sont amenés par là même à la négation de l’Unité suprême, qui en effet est pour eux comme si elle n’était pas. C’est pourquoi nous avons pu dire que les représentants de la « contre-initiation » sont finalement dupes de leur propre rôle, et que leur illusion est même véritablement la pire de toutes, puisque, en définitive, elle est la seule par laquelle un être puisse, non pas être simplement égaré plus ou moins gravement, mais être réellement perdu sans retour ; mais évidemment, s’ils n’avaient pas cette illusion, ils ne rempliraient pas une fonction qui, pourtant, doit nécessairement être remplie comme toute autre pour l’accomplissement même du plan divin en ce monde.
Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, chapitre XL - La fin d’un monde


jeudi 16 juin 2011

Mise au point sur la contre-tradition 1 - Israel Shamir


Dans La bataille du discours, Israël Shamir déclare des choses assez incroyables à propos de René Guénon :
René Guénon a formulé le concept de la « contre-initiation ». Les contre-initiés sont des adeptes entièrement convertis à l’aspect ésotérique d’une foi, mais qui agissent à l’encontre de ses buts profonds (1). Pour lui, les satanistes, ou certains francs-maçons, sont les adeptes d’une contre-initiation. Mais Alexandre Douguine a proposé une interprétation différente : c’est entre elles que certaines religions agissent mutuellement à la manière de groupes de « contre-initiation » (2). Le judaïsme et le christianisme constituent un couple de ces religions ainsi mutuellement contre-initiées. Elles sont apparues et se sont développées en même temps, dans les premiers siècles après Jésus Christ, époque où les Pères de l’Eglise, d’un côté, et les Tanaïm et les Amoraïm, de l’autre, composaient, en pleine connaissance de leurs adversaires, leurs commentaires de la Bible mutuellement anathémisants. Un juif studieux convenablement formé se comporte comme un contre-initié dans la société chrétienne, et un prêtre chrétien, dans l’Etat juif, sape la loyauté aveugle des juifs. Ce n’est pas un hasard, si le christianisme est en butte aux persécutions, dans l’Etat juif. Pour vivre, le christianisme doit lutter contre la tendance judaïque, quand bien même elle se serait accoutrée des oripeaux d’un mouvement non-religieux. Néanmoins, la symétrie (entre judaïsme et christianisme) n’est pas totale.
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1 - Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, Gallimard, 1945, chapitre XXXVI, « La pseudo-initiation »
2 - Alexandre Douguine, « La contre-initiation dans la métaphysique de la Bonne Nouvelle », Moscou, 2002 
Israël Adam Shamir, La Bataille du discours, chapitre XLI – Des mondes et des dieux, p. 417



Il y a là un oubli assez fâcheux de l'unité fondamentale des traditions derrière la nécessaire multiplicité des formes, expliquée par Guénon en de nombreuses occasions.

René Guénon :
Nous avons souvent insisté déjà sur le fait que, si le but ultime de toute initiation est essentiellement un, il est cependant nécessaire que les voies qui permettent de l’atteindre soient multiples, afin de s’adapter à la diversité des conditions individuelles ; en cela, en effet, il ne faut pas considérer seulement le point d’arrivée, qui est toujours le même, mais aussi le point de départ, qui est différent suivant les individus. Il va de soi, d’ailleurs, que ces voies multiples tendent à s’unifier à mesure qu’elles se rapprochent du but, et que, même avant d’y parvenir, il y a un point à partir duquel les différences individuelles ne peuvent plus intervenir en aucune façon ; et il n’est pas moins évident que leur multiplicité, qui n’affecte en rien l’unité du but, ne saurait davantage affecter l’unité fondamentale de la doctrine, qui, en réalité, n’est pas autre chose que celle de la vérité même.

Ces notions sont tout à fait courantes dans toutes les civilisations orientales : ainsi, dans les pays de langue arabe, il est passé en expression proverbiale de dire que « chaque sheikh a sa tarîqah », pour dire qu’il y a de nombreuses façons de faire une même chose et d’obtenir un même résultat. À la multiplicité des turuq dans l’initiation islamique correspond exactement, dans la tradition hindoue, celle des voies du Yoga dont on parle quelquefois comme d’autant de Yogas distincts, bien que cet emploi du pluriel soit tout à fait impropre si le mot était pris dans son sens strict, qui désigne le but lui-même ; il ne se justifie que par l’extension usuelle de la même dénomination aux méthodes ou aux procédés qui sont mis en œuvre pour atteindre ce but ; et, en toute rigueur, il serait plus correct de dire qu’il n’y a qu’un Yoga, mais qu’il y a de multiples mârgas ou voies conduisant à sa réalisation.

Nous avons constaté à cet égard, chez certains Occidentaux, une méprise vraiment singulière : de la constatation de cette multiplicité de voies, ils prétendent conclure à l’inexistence d’une doctrine unique et invariable, voire même de toute doctrine dans le Yoga ; ils confondent ainsi, si invraisemblable que cela puisse paraître, la question de doctrine et la question de méthode, qui sont des choses d’ordre totalement différent. On ne devrait d’ailleurs pas parler, si l’on tient à l’exactitude de l’expression, d’« une doctrine du Yoga », mais de la doctrine traditionnelle hindoue, dont le Yoga représente un des aspects ; et, pour ce qui est des méthodes de réalisation du Yoga, elles ne relèvent que des applications « techniques » auxquelles la doctrine donne lieu, et qui sont traditionnelles, elles aussi, précisément parce qu’elles sont fondées sur la doctrine et ordonnées en vue de celle-ci, ce à quoi elles tendent étant toujours, en définitive, l’obtention de la pure Connaissance. Il est bien clair que la doctrine, pour être vraiment tout ce qu’elle doit être, doit comporter, dans son unité même, des aspects ou des points de vue (darshanas) divers, et que, sous chacun de ces points de vue, elle doit être susceptible d’applications indéfiniment variées ; pour s’imaginer qu’il peut y avoir là quelque chose de contraire à son unité et à son invariabilité essentielles, il faut, disons-le nettement, n’avoir pas la moindre idée de ce qu’est réellement une doctrine traditionnelle. D’ailleurs, d’une façon analogue, la multiplicité indéfinie des choses contingentes n’est-elle pas, elle aussi, comprise tout entière dans l’unité de leur Principe, et sans que l’immutabilité de celui-ci en soit aucunement affectée ?

Il ne suffit pas de constater purement et simplement une erreur ou une méprise comme celle dont il s’agit, et il est plus instructif d’en chercher l’explication ; nous devons donc nous demander à quoi peut bien correspondre, dans la mentalité occidentale, la négation de l’existence d’une chose telle que la doctrine traditionnelle hindoue. Il vaut mieux, en effet, prendre ici cette erreur sous sa forme la plus générale et la plus extrême, car c’est seulement ainsi qu’il est possible d’en découvrir la racine même ; quand elle revêt des formes plus particularisées ou plus atténuées, celles-ci se trouveront dès lors expliquées aussi « a fortiori », et d’ailleurs, à vrai dire, elles ne font guère que dissimuler, quoique d’une façon sans doute inconsciente dans bien des cas, la négation radicale que nous venons d’énoncer. En effet, nier l’unité et l’invariabilité d’une doctrine, c’est en somme nier ses caractères les plus essentiels et les plus fondamentaux ; ceux-là mêmes sans lesquels elle ne mérite plus ce nom ; c’est donc bien encore, même si l’on ne s’en rend pas compte, nier véritablement l’existence même de la doctrine comme telle.

Tout d’abord, en tant qu’elle prétend s’appuyer sur une considération d’une diversité de méthodes, ainsi que nous venons de le dire, cette négation procède manifestement de l’incapacité d’aller au delà des apparences extérieures et de percevoir l’unité sous leur multiplicité ; sous ce rapport, elle est du même genre que la négation de l’unité foncière et principielle de toute tradition, à cause de l’existence de formes traditionnelles différentes, qui ne sont pourtant en réalité qu’autant d’expressions dont la tradition unique se revêt pour s’adapter à des conditions diverses de temps et de lieu, tout comme les différentes méthodes de réalisation, dans chaque forme traditionnelle, ne sont qu’autant de moyens qu’elle emploie pour se rendre accessible à la diversité des cas individuels. Cependant, ce n’est encore là que le côté le plus superficiel de la question ; pour aller davantage au fond des choses, il faut remarquer que cette même négation montre aussi que, quand on parle de doctrine comme nous le faisons ici, on rencontre, chez certains, une incompréhension complète de ce dont il s’agit réellement ; en effet, s’ils ne détournaient pas ce mot de son sens normal, ils ne pourraient pas contester qu’il s’applique à un cas comme celui de la tradition hindoue, et que c’est même seulement dans un tel cas, nous voulons dire quand il s’agit d’une doctrine traditionnelle, qu’il a toute la plénitude de sa signification. Or, si cette compréhension se produit, c’est parce que la plupart des Occidentaux actuels sont incapables de concevoir une doctrine autrement que sous l’une ou l’autre de deux formes spéciales, de qualité extrêmement inégale d’ailleurs, puisque l’une est d’ordre exclusivement profane, tandis que l’autre possède un caractère vraiment traditionnel, mais qui toutes deux sont spécifiquement occidentales : ces deux formes sont, d’une part, celle d’un système philosophique et, de l’autre, celle d’un dogme religieux.

Que la vérité traditionnelle ne puisse aucunement s’exprimer sous une forme systématique, c’est là un point que nous avons assez souvent expliqué pour n’avoir pas à y insister de nouveau ; d’ailleurs, l’unité apparente d’un système, qui ne résulte que de ses limitations plus ou moins étroites, n’est proprement qu’une parodie de la véritable unité doctrinale. Au surplus, toute philosophie n’est rien de plus qu’une construction individuelle, qui, comme telle, ne se rattache à aucun principe transcendant, et qui est par conséquent dépourvue de toute autorité ; elle n’est donc point une doctrine au vrai sens de ce mot, et nous dirions plutôt que c’est une pseudo-doctrine, entendant par là qu’elle a la prétention d’en être une, mais que cette prétention n’est nullement justifiée. Naturellement, les Occidentaux modernes pensent tout autrement à cet égard, et, là où ils ne retrouvent pas les cadres pseudo-doctrinaux auxquels ils sont habitués, ils sont inévitablement désemparés ; mais, comme ils ne veulent ou ne peuvent pas l’avouer, ils s’efforcent quand même de tout faire rentrer dans ces cadres en le dénaturant, ou bien, s’ils ne peuvent y réussir, ils déclarent tout simplement que ce à quoi ils ont affaire n’est pas une doctrine, par un de ces renversements de l’ordre normal dont ils sont coutumiers. En outre, comme ils confondent l’intellectuel avec le rationnel, ils confondent aussi une doctrine avec une simple « spéculation », et, comme une doctrine traditionnelle est tout autre chose que cela, ils ne peuvent comprendre ce qu’elle est ; ce n’est certes pas la philosophie qui leur apprendra que la connaissance théorique, étant indirecte et imparfaite, n’a en elle-même qu’une valeur « préparatoire », en ce sens qu’elle fournit une direction qui empêche d’errer dans la réalisation, par laquelle seule peut être obtenue la connaissance effective, dont l’existence et la possibilité même sont quelque chose qu’ils ne soupçonnent même pas ; alors, quand nous disons, comme nous le faisions plus haut, que le but à atteindre est la pure Connaissance, comment pourraient-ils savoir ce que nous entendons par là ?

D’autre part, nous avons eu bien soin de préciser, au cours de nos ouvrages, que l’orthodoxie de la doctrine traditionnelle hindoue ne devait aucunement être conçue en mode religieux ; cela implique forcément qu’elle ne saurait s’exprimer sous une forme dogmatique, celle-ci étant inapplicable en dehors du point de vue de la religion proprement dite. Seulement, en fait, les Occidentaux ne connaissent généralement pas d’autre forme d’expression des vérités traditionnelles que celle-là ; c’est pourquoi, quand on parle d’orthodoxie doctrinale, ils pensent inévitablement à des formules dogmatiques ; ils savent en effet tout au moins ce qu’est un dogme, ce qui d’ailleurs ne veut certes pas dire qu’ils le comprennent ; mais ils savent sous quelle apparence extérieure il se présente, et c’est à cela que se borne toute l’idée qu’ils ont encore de la tradition. L’esprit antitraditionnel qui est celui de l’Occident moderne, entre en fureur à cette seule idée du dogme, parce que c’est ainsi que la tradition lui apparaît, dans l’ignorance où il est de toutes les autres formes qu’elle peut revêtir ; et l’Occident n’en serait jamais arrivé à son état actuel de déchéance et de confusion s’il était demeuré fidèle à son dogme, puisque, pour s’adapter à ses conditions mentales particulières, la tradition devait nécessairement y prendre cet aspect spécial, du moins quant à sa partie exotérique. Cette dernière restriction est indispensable, car il doit être bien entendu que, dans l’ordre ésotérique et initiatique, il n’a jamais pu être question de dogme, même en Occident ; mais ce sont là des choses dont le souvenir même est trop complètement perdu, pour les Occidentaux modernes, pour qu’ils puissent y trouver des termes de comparaison qui les aideraient à comprendre ce que peuvent être les autres formes traditionnelles. D’un autre côté, si le dogme n’existe pas partout, c’est que, même dans l’ordre exotérique, il n’aurait pas la même raison d’être qu’en Occident ; il y a des gens qui, pour ne pas « divaguer » au sens étymologique de ce mot, ont besoin d’être tenus strictement en tutelle, tandis qu’il en est d’autres qui n’en ont nullement besoin ; le dogme n’est nécessaire que pour les premiers et non pour les seconds, de même que, pour prendre un autre exemple d’un caractère quelque peu différent, l’interdiction des images n’est nécessaire que pour les peuples qui, par leurs tendances naturelles, sont portés à un certain anthropomorphisme ; et sans doute pourrait-on montrer assez facilement que le dogme est solidaire de la forme spéciale d’organisation traditionnelle que représente la constitution d’une « Église », et qui est, elle aussi, quelque chose de spécifiquement occidental.

Ce n’est pas ici le lieu d’insister davantage sur ces derniers points ; mais, quoi qu’il en soit, nous pouvons dire ceci pour conclure : la doctrine traditionnelle, quand elle est complète, a, par son essence même, des possibilités réellement illimitées ; elle est donc assez vaste pour comprendre dans son orthodoxie tous les aspects de la vérité, mais elle ne saurait pourtant admettre rien d’autre que ceux-ci, et c’est la précisément ce que signifie ce mot d’orthodoxie, qui n’exclut que l’erreur, mais qui l’exclut d’une façon absolue. Les Orientaux, et plus généralement tous les peuples ayant une civilisation traditionnelle, ont toujours ignoré ce que les Occidentaux modernes décorent du nom de « tolérance », et qui n’est réellement que l’indifférence à la vérité, c’est-à-dire quelque chose qui ne peut se concevoir que là où l’intellectualité est totalement absente ; que les Occidentaux vantent cette « tolérance », comme une vertu, n’est-ce pas là un indice tout à fait frappant du degré d’abaissement où les a amenés le reniement de la tradition ?
Initiation et Réalisation Spirituelle, Chapitre XVII – Doctrine et méthode







Considérons en détails la présentation des écrits de Guénon par Shamir :
Les contre-initiés sont des adeptes entièrement convertis à l’aspect ésotérique d’une foi, mais qui agissent à l’encontre de ses buts profonds. Pour lui, les satanistes, ou certains francs-maçons, sont les adeptes d’une contre-initiation

  • Israël Adam Shamir :
Les contre-initiés sont des adeptes

René Guénon :
Tout d’abord, il est facile de comprendre que le rattachement au centre suprême soit indispensable pour assurer la continuité de transmission des influences spirituelles depuis les origines mêmes de la présente humanité (nous devrions même dire au delà de ces origines, puisque ce dont il s’agit est « non-humain ») et à travers toute la durée de son cycle d’existence ; il en est ainsi pour tout ce qui a un caractère véritablement traditionnel, même pour les organisations exotériques, religieuses ou autres, tout au moins à leur point de départ ; à plus forte raison en est-il de même dans l’ordre initiatique. En même temps, c’est ce rattachement qui maintient l’unité intérieure et essentielle existant sous la diversité des apparences formelles, et qui est, par conséquent, la garantie fondamentale de l’« orthodoxie », au vrai sens de ce mot. Seulement, il doit être bien entendu que ce rattachement peut ne pas demeurer toujours conscient, et cela n’est que trop évident dans l’ordre exotérique ; par contre, il semble qu’il devrait l’être toujours dans le cas des organisations initiatiques, dont une des raisons d’être est précisément, en prenant pour point d’appui une certaine forme traditionnelle, de permettre de passer au delà de cette forme et de s’élever ainsi de la diversité à l’unité. Ceci, naturellement, ne veut pas dire qu’une telle conscience doive exister chez tous les membres d’une organisation initiatique, ce qui est manifestement impossible et rendrait d’ailleurs inutile l’existence d’une hiérarchie de degrés ; mais elle devrait normalement exister au sommet de cette hiérarchie, si tous ceux qui y sont parvenus étaient véritablement des « adeptes », c’est à-dire des êtres ayant réalisé effectivement la plénitude de l’initiation (1) ; et de tels « adeptes » constitueraient un centre initiatique qui serait constamment en communication consciente avec le centre suprême.
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1 - C’est là le seul sens vrai et légitime de ce mot, qui, à l’origine appartenait exclusivement à la terminologie initiatique et plus spécialement rosicrucienne ; mais il faut encore signaler à ce propos un de ces étranges abus de langage si nombreux à notre époque : on en est arrivé, dans l’usage vulgaire, à prendre « adeptes » pour un synonyme d’« adhérents », si bien qu’on applique couramment ce mot à l’ensemble des membres de n’importe quelle organisation, s’agit-il de l’association la plus purement profane qu’il soit possible de concevoir ! 
Aperçus sur l’Initiation, chapitre X – Des centres initiatiques



  • Israël Adam Shamir :
entièrement convertis

René Guénon :
D’une façon tout à fait générale, nous pouvons dire que quiconque a conscience de l’unité des traditions, que ce soit par une compréhension simplement théorique ou à plus forte raison par une réalisation effective, est nécessairement, par là même, « inconvertissable » à quoi que ce soit ; il est d’ailleurs le seul qui le soit véritablement, les autres pouvant toujours, à cet égard, être plus ou moins à la merci des circonstances contingentes. On ne saurait dénoncer trop énergiquement l’équivoque qui amène certains à parler de « conversions » là où il n’y en a pas trace, car il importe de couper court aux trop nombreuses inepties de ce genre qui sont répandues dans le monde profane, et sous lesquelles, bien souvent, il n’est pas difficile de deviner des intentions nettement hostiles à tout ce qui relève de l’ésotérisme.
Initiation et Réalisation Spirituelle, chapitre XII – A propos de « conversions »



  • Israël Adam Shamir :
à l’aspect ésotérique d’une foi

René Guénon :
L’intervention d’un élément « non-humain » peut définir, d’une façon générale, tout ce qui est authentiquement traditionnel ; mais la présence de ce caractère commun n’est pas une raison suffisante pour ne pas faire ensuite les distinctions nécessaires, et en particulier pour confondre le domaine religieux et le domaine initiatique, ou pour voir entre eux tout au plus une simple différence de degré, alors qu’il y a réellement une différence de nature, et même, pouvons-nous dire, de nature profonde. Cette confusion est très fréquente aussi, surtout chez ceux qui prétendent étudier l’initiation « du dehors », avec des intentions qui peuvent être d’ailleurs fort diverses ; aussi est-il indispensable de la dénoncer formellement : l’ésotérisme est essentiellement autre chose que la religion, et non pas la partie « intérieure » d’une religion comme telle, même quand il prend sa base et son point d’appui dans celle-ci comme il arrive dans certaines formes traditionnelles, dans l’Islamisme par exemple (1); et l’initiation n’est pas non plus une sorte de religion spéciale réservée à une minorité, comme semblent se l’imaginer, par exemple, ceux qui parlent des mystères antiques en les qualifiant de « religieux » (2). Il ne nous est pas possible de développer ici toutes les différences qui séparent les deux domaines religieux et initiatique, car, plus encore que lorsqu’il s’agissait seulement du domaine mystique qui n’est qu’une partie du premier, cela nous entraînerait assurément fort loin ; mais il suffira, pour ce que nous envisageons présentement, de préciser que la religion considère l’être uniquement dans l’état individuel humain et ne vise aucunement à l’en faire sortir, mais au contraire à lui assurer les conditions les plus favorables dans cet état même (3), tandis que l’initiation a essentiellement pour but de dépasser les possibilités de cet état et de rendre effectivement possible le passage aux états supérieurs, et même, finalement, de conduire l’être au delà de tout état conditionné quel qu’il soit.
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1 - C’est pour bien marquer ceci et éviter toute équivoque qu’il convient de dire « ésotérisme islamique » ou « ésotérisme chrétien », et non pas, comme le font certains, « Islamisme ésotérique » ou « Christianisme ésotérique » ; il est facile de comprendre qu’il y a là plus qu’une simple nuance.
2 - On sait que l’expression « religion de mystères » est une de celles qui reviennent constamment dans la terminologie spéciale adoptée par les « historiens des religions ».
3 - Bien entendu, il s’agit ici de l’état humain envisagé dans son intégralité, y compris l’extension indéfinie de ses prolongements extra-corporels.
Aperçus sur l'Initiation, chapitre III - Erreurs diverses concernant l'initiation



  • Israël Adam Shamir:
mais qui agissent à l’encontre de ses buts profonds

René Guénon :
Naturellement, pour que l’imitation par reflet inverse soit aussi complète que possible, il peut se constituer des centres auxquels se rattacheront les organisations qui relèvent de la « contre-initiation », centres uniquement « psychiques », bien entendu, comme les influences qu’ils utilisent et qu’ils transmettent, et non point spirituels comme dans le cas de l’initiation et de la tradition véritable, mais qui peuvent cependant, en raison de ce que nous venons de dire, en prendre jusqu’à un certain point les apparences extérieures, ce qui donne l’illusion de la « spiritualité à rebours ». Il n’y aura d’ailleurs pas lieu de s’étonner si ces centres eux-mêmes, et non pas seulement certaines des organisations qui leur sont subordonnées plus ou moins directement, peuvent se trouver, dans bien des cas, en lutte les uns avec les autres, car le domaine où ils se situent, étant celui qui est le plus proche de la dissolution « chaotique », est par là même celui où toutes les oppositions se donnent libre cours, lorsqu’elles ne sont pas harmonisées et conciliées par l’action directe d’un principe supérieur, qui ici fait nécessairement défaut. De là résulte souvent, en ce qui concerne les manifestations de ces centres ou de ce qui en émane, une impression de confusion et d’incohérence qui, elle, n’est certes pas illusoire, et qui est même encore une « marque » caractéristique de ces choses ; ils ne s’accordent que négativement, pourrait-on dire, pour la lutte contre les véritables centres spirituels, dans la mesure où ceux-ci se tiennent à un niveau qui permet à une telle lutte de s’engager, c’est-à-dire seulement pour ce qui se rapporte à un domaine ne dépassant pas les limites de notre état individuel (1). Mais c’est ici qu’apparaît ce qu’on pourrait véritablement appeler la « sottise du diable » : les représentants de la « contre-initiation », en agissant ainsi, ont l’illusion de s’opposer à l’esprit même, auquel rien ne peut s’opposer en réalité ; mais en même temps, malgré eux et à leur insu, ils lui sont pourtant subordonnés en fait et ne peuvent jamais cesser de l’être, de même que tout ce qui existe est, fut-ce inconsciemment et involontairement, soumis à la volonté divine, à laquelle rien ne saurait se soustraire. Ils sont donc, eux aussi, utilisés en définitive, quoique contre leur gré, et bien qu’ils puissent même penser tout le contraire, à la réalisation du « plan divin dans le domaine humain » (2) ; ils y jouent, comme tous les autres êtres, le rôle qui convient à leur propre nature, mais, au lieu d’être effectivement conscients de ce rôle comme le sont les véritables initiés, ils ne sont conscients que de son côté négatif et inversé ; ainsi, ils en sont dupes eux-mêmes, et d’une façon qui est bien pire pour eux que la pure et simple ignorance des profanes, puisque, au lieu de les laisser en quelque sorte au même point, elle a pour résultat de les rejeter toujours plus loin du centre principiel, jusqu’à ce qu’ils tombent finalement dans les « ténèbres extérieures ». Mais, si l’on envisage les choses, non plus par rapport à ces êtres eux-mêmes, mais par rapport à l’ensemble du monde, on doit dire que, aussi bien que tous les autres, ils sont nécessaires à la place qu’ils occupent, en tant qu’éléments de cet ensemble, et comme instruments « providentiels », dirait-on en langage théologique, de la marche de ce monde dans son cycle de manifestation, car c’est ainsi que tous les désordres partiels, même quand ils apparaissent en quelque sorte comme le désordre par excellence, n’en doivent pas moins nécessairement concourir à l’ordre total.
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1 - Ce domaine est, au point de vue initiatique, celui de ce qui est désigné comme les « petits Mystères » ; par contre, tout ce qui se rapporte aux « grands Mystères », étant d’ordre essentiellement « supra-humain » est par là même exempt d’une telle opposition, puisque c’est là le domaine qui, par sa nature propre, est absolument fermé et inaccessible à la « contre-initiation » et à ses représentants à tous les degrés.
2 - Et-tadâbîrul-ilâhiyah fî’l- mamlakatil-insâniyah, titre d’un traité de Mohyiddin ibn Arabi.
Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, chapitre XXXVIII - De l’antitradition à la contre-tradition



  • Israël Adam Shamir :
Pour lui, les satanistes, ou certains francs-maçons, sont les adeptes d’une contre-initiation.

Pourquoi seulement eux ? Les agents de la contre-tradition ne portent pas de bannière spécifique, puisqu'ils s'attaquent à toutes les formes traditionnelles sans exception.

René Guénon :
Leur erreur est d’un ordre beaucoup plus profond que celle des hommes qu’ils influencent et « suggestionnent » par de telles idées, car elle n’est pas autre chose que la conséquence même de leur ignorance totale et invincible de la vraie nature de toute spiritualité ; c’est pourquoi il est beaucoup plus difficile de dire exactement jusqu’à quel point ils peuvent être conscients de la fausseté de la « contre-tradition » qu’ils visent à constituer, puisqu’ils peuvent croire très réellement qu’en cela ils s’opposent à l’esprit, tel qu’il se manifeste dans toute tradition normale et régulière, et qu’ils se situent au même niveau que ceux qui le représentent en ce monde ;
Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, chapitre XL - La fin d’un monde



Supposons que Israel Shamir n'a pas lu du tout Guénon et qu'il s'est référé essentiellement à un apport de seconde main, ce qui est le plus honorable pour lui.


La distinction nécessaire à faire entre tradition, pseudo-tradition et contre tradition, qui a été ici négligée par Shamir, est en tout cas expliquée clairement dans le Règne de la Quantité.


Intéressons nous maintenant à Douguine :
https://oeuvre-de-rene-guenon.blogspot.com/2011/06/mise-au-point-sur-la-contre-tradition-2.html


mardi 7 juin 2011

La pseudo-tradition de Laurent James 4 - La Salette

Article précédent :
https://oeuvre-de-rene-guenon.blogspot.com/2011/06/la-pseudo-tradition-de-laurent-james-3.html


La commémoration des deux ans de la confrérie PAROUSIA eut donc lieu le dimanche 27 juin dernier, au sein de l’église désaffectée N-D de la Salette sur les hauteurs de Marseille. On se souvient que la fondation de PAROUSIA se tint également sous le patronage de la Salette, de par la lecture le 27 juillet 2008 sur le parvis de la basilique St-Maximin du message apocalyptique de la Sainte Vierge.
https://parousia-parousia.blogspot.com/2010/07/parousia-est-gratuit-et-ne-sert-rien.html



A propos du Mercure de France du 16 novembre 1937 (compte rendu d'article de février 1938 reproduit dans le Théosphisme) :
Dans le même numéro, nous devons signaler aussi un article de M. Paul Vulliaud sur Léon Bloy prophète et martyr, qui contient de curieux détails sur les origines de la « mission » dont cet étrange personnage se croyait investi ; le plus intéressant, dans cette histoire, est ce qui est en rapport direct avec l’affaire de la Salette, qui est un de ces événements aux « dessous » suspects, dont l’époque contemporaine n’offre que trop d’exemples, et qui, comme le note l’auteur, présente des relations vraiment singulières avec l’affaire de la « survivance » de Louis XVII, relations qui sont d’autant plus à remarquer qu’il en est constamment de même dans toutes les choses de ce genre qui se produisirent au cours du XIXe siècle ; la recherche des raisons de ce fait pourrait sans doute mener assez loin dans le domaine de ce qu’on peut appeler l’histoire « souterraine » de notre temps… Par ailleurs, le fameux « Secret de la Salette », qui a manifestement inspiré les invectives furieuses de Léon Bloy contre les catholiques et en particulier contre le clergé, contient quelques « marques » assez nettes de la véritable nature des « influences » qui ont agi en tout cela ; aussi, quand on constate que, sous des formes diverses, ces choses ont encore une « suite » actuellement, est-il permis de trouver que cela n’est pas précisément très rassurant ; et l’on comprendra par là pourquoi, notamment, la vogue présente de certaines prétendues « prophéties » doit inspirer quelques inquiétudes à quiconque n’est pas entièrement ignorant de ces sortes de « ramifications ».
René Guénon



Bucolique...


L'incident d'Ars

 

En septembre 1850, Maximin, à qui certains conseillent de se faire Mariste, désire consulter le Curé d'Ars sur sa vocation [1]. Brayer, bienfaiteur des deux voyants [2], et Verrier, un des partisans du « baron de Richemont » qui espèrent que le secret de La Salette a trait aux destinées de ce prétendu Louis XVII, se chargent de conduire Maximin chez le célèbre curé [3]. Le tuteur de Maximin donne officiellement son consentement, mais l'évêque de Grenoble s'oppose au voyage. Maximin, trépignant de dépit, refuse de se soumettre à cette interdiction. Brayer et Verrier passent outre à la volonté de l'évêque et emmènent à Ars Maximin accompagné de sa sœur Angélique, qui est majeure [4].
[...]

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1 - Jean Stern, La Salette, Documents authentiques, t. 3, Paris, Éditions du Cerf, 1991, pp. 10-11. 
2 -  C'était un Parisien qui s'était installé à Corps un an environ auparavant « pour être plus à proximité de répandre sur eux ses générosités ». (L.M.U. Similien, Nouvelle auréole de Marie..., Angers, 1856, p. 449, cité par Jean Stern, La Salette, Documents authentiques, t. 3, Paris, Éditions du Cerf, 1991, p. 8.
3 -  Jean Stern, La Salette, Documents authentiques, t. 3, Paris, Éditions du Cerf, 1991, pp. 7 et 11.
4 -  Jean Stern, La Salette, Documents authentiques, t. 3, Paris, Éditions du Cerf, 1991, pp. 11 et 13.
Suite :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Notre-Dame_de_La_Salette




Le titre de baron de Richemont était porté par un escroc français, mort le 10 août 1853 à Gleizé, qui se faisait passer pour Louis XVII.
Il s'agirait en réalité d'un certain Henri Hébert [1], né à Paris vers 1788[1], ou de Claude Perrin, né le 7 septembre 1786 à Lagnieu, le premier n'étant peut-être que la fausse identité du second [2].
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1 - a et b Le 4 novembre 1834, la cour d'assises de la Seine a condamné à douze ans de prison un certain « Henri Hébert, se disant Esthelbert-Louis-Hector-Alfred baron de Richemont ». Son acte d'accusation (reproduit dans Mémoire d'un contemporain, p. 161) le présente comme « Esthelberl-Louis-Hector-Alfred baron de Richemont, âgé de 46 ans, rentier, né à Paris ». Gisquet (p. 40) l'appelle « Henri Éthelbert-Louis-Hector Hébert ».
2 - a et b L'identification du baron de Richemont à Claude Perrin est une erreur d'après Léon de La Sicotière (p. 68). Elle est cependant admise par Georges de Manteyer (t. I, p. 6-9). Selon des mentions marginales ajoutées à l'acte de naissance de Claude Perrin dans le registre paroissial de Lagnieu (Archives départementales de l'Ain), ce dernier serait « celui qui s'est fait passer pour Louis 17 ».
http://fr.wikipedia.org/wiki/Baron_de_Richemont


Dans les comptes rendus du Théosophisme :
Eliphas Lévi – La Clef des Grands Mystères
(Éditions Niclaus, Paris).

Nos lecteurs savent quelles réserves nous avons à faire sur les œuvres d’Eliphas Lévi ; il convient d’ailleurs de ne prendre ce qu’elles contiennent que pour l’expression de « vues personnelles », car l’auteur lui-même n’a jamais prétendu revendiquer aucune filiation traditionnelle ; il a même toujours déclaré ne rien devoir qu’à ses propres recherches, et les affirmations contraires ne sont en somme que des légendes dues à des admirateurs trop enthousiastes. Dans le présent livre, ce qu’il y a peut-être de plus intéressant en réalité, bien qu’à un point de vue assez contingent, ce sont les détails vraiment curieux qu’il donne sur certains « dessous » de l’époque à laquelle il fut écrit ; ne fût-ce qu’à cause de cela, il méritait certainement d’être réédité. Dans un autre ordre, il y a lieu aussi de signaler certains des documents qui y sont joints en appendice, notamment les figures hermétiques de Nicolas Flamel, dont on peut cependant se demander jusqu’à quel point elles n’ont pas été « arrangées », et la traduction de l’Asch Mezareph du Juif Abraham ; pour cette dernière, il est fort à regretter que la provenance des fragments qui sont donnés séparément comme compléments des huit chapitres ne soit pas indiquée expressément, ce qui eût été une garantie de leur authenticité ; la reconstitution de l’ensemble du traité n’est d’ailleurs présentée que comme « hypothétique », mais il est bien difficile de savoir dans quelle mesure les copistes qui l’auraient « morcelé pour le rendre inintelligible » en sont responsables, et quelle y est au juste la part d’Eliphas Lévi lui-même.
René Guénon


Dans Histoire de la magie, Eliphas Lévi évoque également les "dessous" de cette époque, notamment les stratagèmes propres aux "sauveurs de Louis XVII" :
[...]La secte des sauveurs de Louis XVII appartient, sous ce rapport, à l'histoire de la magie.

La folie de ces hommes est contagieuse au point de gagner à leurs croyances ceux-mêmes qui viennent les trouver pour les combattre ; ils se procurent les pièces les plus importantes et les plus introuvables, attirent à eux les plus singuliers témoins, évoquent des souvenirs perdus, commandent à l'armée des rêves, font apparaître des anges à Martin, du sang à Rose Tamisier, un ange en guenilles à Eugène Vintras. Cette dernière histoire est curieuse à cause de ses suites phénoménales, et nous allons la raconter.

En 1839, les sauveurs de Louis XVII qui avaient rempli les almanachs de prophéties pour l'an 1840, comptant bien que, si tout le monde attendait une révolution, cette révolution ne tarderait pas à s'accomplir, les sauveurs de Louis XVII qui n'avaient plus leur prophète Martin résolurent d'en avoir un autre ; quelques-uns de leurs agents les plus zélés étaient en Normandie, pays dont le faux Louis XVII avait la prétention d'être le duc ; ils jetèrent les yeux sur un ouvrier dévot, d'un caractère exalté et d'une tête faible, et voici le tour dont ils s'avisèrent : ils supposèrent une lettre adressée au prince, c'est-à-dire au prétendu Louis XVII, remplirent cette lettre des promesses emphatiques du règne futur, jointes à des expressions mystiques capables de faire impression sur une tête faible et firent tomber cette lettre dans les mains de l'ouvrier qui se nommait Eugène Vintras, avec les circonstances que lui-même va nous raconter :

«Le 6 août 1839.

«A neuf heures environ, j'étais occupé à écrire..., on frappe à la porte de la chambre où j'étais ; croyant que c'était un ouvrier qui avait affaire à moi, je réponds assez brusquement : Entrez.
«Je fus bien surpris, au lieu d'un ouvrier, de voir un vieillard déguenillé ; je lui demandai seulement ce qu'il voulait.

«Il me répondit bien tranquillement : Ne vous fâchez pas, Pierre-Michel (noms dont jamais personne ne se sert pour me nommer ; dans tout le pays on m'appelle Eugène, et même, lorsque je signe quelque chose, je ne mets jamais ces deux prénoms).

«Cette réponse de mon vieillard me fit une certaine sensation ; mais elle augmenta lorsqu'il me dit : «Je suis bien fatigué ; partout où je me présente, on me regarde avec mépris ou comme un voleur.» Ces dernières paroles m'effrayèrent beaucoup, quoique dites d'un air triste et malheureux. Je me levai, et pris devant moi non pas de la monnaie, mais une pièce de dix sous que je lui mis dans la main en lui disant : Je ne vous prends pas pour cela, mon brave homme. Et en lui disant cela, je lui fis apercevoir que je voulais l'éconduire. Il ne demanda pas mieux et me tourna le dos d'un air peiné.

«A peine eut-il mis le pied sur la dernière marche que je retirai la porte sur moi, et la fermai à clef. Ne l'entendant pas descendre, j'appelai un ouvrier et lui dis de monter à ma chambre. Là, sous prétexte d'affaires, j'espérais lui faire parcourir avec moi tous les endroits que je jugeais possibles de cacher mon vieillard, que je n'avais pas vu sortir. Cet ouvrier monte à ma chambre, je sors avec lui en fermant ma porte à clef, et je parcourus tous les plus petits réduits. Je ne vis rien.

«J'allais entrer dans la fabrique, quand tout à coup j'entends sonner une messe. J'éprouvais du plaisir pensant que, malgré le dérangement de mon vieillard, je pourrais néanmoins assister à une messe.
«Alors je courus à ma chambre pour prendre un livre de prières. Je trouvai, à la place où j'écrivais, une lettre adressée à madame de Generès, à Londres. Cette lettre était signée et écrite par M. Paul de Montfleury, de Caen, et contenait une réfutation d'hérésie et une profession de foi orthodoxe.

«Cette lettre, quoique adressée à madame de Generès, était destinée à remettre sous les yeux du duc de Normandie les plus grandes vérités de notre sainte religion catholique, apostolique et romaine. Sur la lettre était posée la pièce de dix sous que j'avais donnée à mon vieillard.»

Dans une autre lettre, Pierre-Michel avoue que la figure de ce vieillard ne lui était pas inconnue, mais qu'en le voyant ainsi apparaître tout à coup, il eut extraordinairement peur, il verrouilla et barricada la porte quand il fut sorti, écouta longtemps à la porte s'il l'entendait descendre. Le vieux mendiant ôta sans doute ses souliers pour descendre sans faire du bruit, car Vintras n'entendit rien ; il court alors à la fenêtre et ne le voit pas sortir, attendu qu'il était sorti depuis longtemps. Voilà mon homme bouleversé, il appelle au secours, cherche partout, trouve enfin la lettre qu'on voulait lui faire lire, c'est évidemment une lettre tombée du ciel. Voilà Vintras dévoué à Louis XVII, le voila visionnaire pour le reste de ses jours, car désormais l'image du vieux mendiant ne le quittera plus. Ce mendiant deviendra saint Michel, parce qu'il l'a appelé Pierre-Michel, association d'idées analogue à celles des rêves. Les hallucinés de la secte de Louis XVII avaient deviné, avec la seconde vue des maniaques, juste le moment où il fallait frapper la faible tête de Vintras pour en faire en un seul instant un illuminé et un prophète.

La secte de Louis XVII se compose surtout d'anciens serviteurs de la royauté légitimiste, aussi Vintras, devenu leur medium, est-il le fidèle reflet de toutes ces imaginations pleines de souvenirs chevaleresques et de mysticisme vieilli.

Ce sont partout, dans les visions du nouveau prophète, des lys baignés de sang, des anges en costume de chevaliers, des saints déguisés en troubadours. Puis apparaissent des hosties collées sur de la soie bleue. Vintras a des sueurs de sang, et son sang apparaît sur les hosties, où il dessine des cœurs avec des légendes de l'écriture et de l'orthographe de Vintras ; des calices vides paraissent tout à coup pleins de vin, puis où le vin tombe apparaissent des taches de sang. Les initiés croient entendre une musique délicieuse et respirer des parfums inconnus ; des prêtres appelés à constater ces prodiges sont entraînés dans le courant de l'enthousiasme.

Un curé du diocèse de Tours, un vieux et vénérable ecclésiastique, quitte sa cure, et se met à la suite du prophète. Nous avons vu ce prêtre, il nous a raconté les merveilles de Vintras avec l'accent de la plus parfaite conviction, il nous a montré des hosties injectées de sang d'une manière inexplicable, il nous a communiqué des procès-verbaux signés de plus de cinquante témoins, tous gens honorables et bien posés dans le monde, des artistes, des médecins, des hommes de loi, un chevalier de Razac, une duchesse d'Armaillé. Les médecins ont analysé le fluide vermeil qui coulait des hosties, et ont reconnu que c'était véritablement du sang humain ; les ennemis même de Vintras, et il en a de cruels, ne contestent pas les miracles et se contentent de les attribuer au démon. Mais concevez-vous, nous disait l'abbé Charvoz, ce curé de Touraine dont nous avons parlé, concevez-vous le démon falsifiant le sang de Jésus-Christ sur des hosties réellement consacrées ? Car l'abbé Charvoz est bien réellement prêtre, et ces signes se produisent aussi sur les hosties qu'il consacre.

Cependant la secte de Vintras est anarchique et absurde, Dieu ne fait donc pas de miracles en sa faveur. Reste l'explication naturelle des phénomènes, et dans le cours de cet ouvrage, nous l'avons assez indiquée pour qu'il soit inutile de la développer ici.

Vintras, que ses sectaires posent en nouveau Christ, eut aussi ses Iscariotes : deux membres de la secte, un certain Gozzoli et un nommé Alexandre Geoffroi, publièrent contre lui les révélations les plus odieuses. A les croire, les sectaires de Tilly-sur-Seules (ainsi se nommait leur résidence) se livraient aux pratiques les plus obscènes ; ils célébraient dans leur chapelle particulière, qu'ils nommaient le cénacle, des messes sacrilèges auxquelles les élus assistaient dans un état complet de nudité ; à un certain moment, tous gesticulaient, fondaient en larmes en criant : Amour ! amour ! et ils se jetaient dans les bras les uns des autres ; on nous permettra de supprimer le reste. C'étaient les orgies des anciens gnostiques, mais sans qu'on prît la peine d'éteindre les lumières. Alexandre Geoffroi assure que Vintras l'initia à un genre de prière qui consistait dans l'acte monstrueux d'Onan, exercé au pied des autels, mais ici le dénonciateur est trop odieux pour être cru sur parole. L'abbé Charvoz, à qui nous avons parlé de ces accusations infâmes, nous a dit qu'il fallait les attribuer à la haine de deux hommes chassés de l'association pour avoir commis eux-mêmes les actes dont ils accusent Vintras. Quoi qu'il en soit, les désordres moraux engendrent naturellement les désordres physiques, et les surexcitations anormales du système nerveux produisent presque toujours des dérèglements excentriques dans les mœurs ; si donc Vintras est innocent, il aurait pu et peut encore devenir coupable.

Le pape Grégoire XVI, par un bref du 8 novembre 1843, a condamné formellement la secte de Vintras.
[...]
Livre VII, chapitre II - Des hallucinations.
http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre11102-chapitre48915.html

A titre documentaire, l'intégrale d'Eliphas Lévi (en format texte, de mauvaise qualité) :
http://stampysays.com/Eliphas_Levi.pdf
 

Pierre-Michel-Eugène Vintras, ou Eugène Vintras ou Michel Vintras, ou Pierre-Michel Vintras (1807-1875), ouvrier cartonnier de Tilly-sur-Seulles, se prétendait la réincarnation du prophète Élie. Selon ses dires, il fut visité par la grâce au début de l'année 1839. Il est surtout connu pour avoir obtenu lors de cérémonies de mystérieuses hosties sanglantes.
Éliphas Lévi lui rendit visite. Stanislas de Guaita, ayant consacré une longue étude à Vintras et ses adeptes, finit par conclure : « Les hosties sanglantes sont vraies, mais elles sont démoniaques ! »
http://fr.wikipedia.org/wiki/Eug%C3%A8ne_Vintras


Il était difficile de trouver patronage plus douteux. Ce ne sont pas de bien meilleures influences qui transpirent à travers les spectacles "traditionnels" de Laurent James.





Edit :
La réaction de Laurent James, que son dévoilement, par la confrontation de son "guénonisme" avec l’œuvre réelle de René Guénon, dérange tellement qu'il en est aux menaces physiques :

Laurent James a écrit :
Quant à cette fraise tagada qui semble être particulièrement préoccupée par mon cas au point d’écrire 4 articles contre moi en une semaine, et dont l’avis semble être pris par certains d’entre vous pour argent comptant, je me demande simplement deux choses : 1) quelle est son autorité pour parler de manière aussi péremptoire et assurée de Guénon, et revendiquer à son compte cet auteur ? Qu’a-t-il publié, quelles sont ses compétences ? (le jour où il attaquera llp pour son non-respect de la Tradition, vous verrez qu'il y a plus monomaniaque que vous) 2) quel hasard très étrange fait que cette fraise tagada m’attaque précisément depuis le jour où je me suis fait attaquer par les antifas rennais ? Quoi qu’il en soit, je pense savoir qui est cet homme, et je crois qu’une confrontation physique aura lieu très bientôt. Je mettrai alors en œuvre une autre cérémonie médiévale européenne, qui s’appelle : le duel.
http://novusordoseclorum.discutforum.com/t6775p15-laurent-james-et-les-gros-ploucs#64985

Il faut être bien désemparé pour en être rendu à un tel point dans son argumentaire. En effet, notre point de vue n'a aucune importance, d'où des références directes, non déformées, de René Guénon lui-même, qui se suffisent à elles-mêmes et n'ont besoin du concours de personne pour les enjoliver, elles sont suffisamment explicites. Le but de ceci n'est aucunement politique (et franchement, aller vérifier toutes ces affirmations se fait peut-être d'un claquement de doigt ? pour le jour même ?), il est simplement de rétablir la vérité, dans cette époque de confusion. Les sources utilisées sont publiques, à la vue de tous, il n'a été faite aucune atteinte à la vie privée de qui que ce soit. Et s'il y a la moindre erreur dans ce qui est présenté, elle n'a qu'à être signalée. Quant à ce monsieur, s'il met ses sombres menaces à exécution, il aura directement affaire avec la police, chez qui il sera traîné par la peau des fesses.


lundi 6 juin 2011

La pseudo-tradition de Laurent James 3 - Les délires d'Atlantis

Cet article est la suite de celui-ci :



Les délires sur l'ère du Verseau sont bien cohérents avec les véritables sources de Laurent James, mais en revanche loin d'être en accord avec René Guénon. Dans une interview :
Laurent James a écrit :
Parmi les grands hommes qui traversèrent le vingtième siècle, il en est un qui se mit au service exclusif de la Vérité avec un acharnement remarquable : Jean Phaure. Il faut apprendre par cœur les 662 pages de son ouvrage Le Cycle de l’Humanité Adamique avec la même rigueur que certains apprennent le Coran. Seul parmi les fondateurs de la revue Atlantis (toujours existante), ce natif d’Indochine eut la bonté de rédiger une Somme initiatique résumant les soixante-quatre mille huit cents ans de l’histoire de l’humanité sur la trame fameuse des Quatre Ages, synthétisant ainsi les traditions égyptienne, hindouiste (donc bouddhiste), grecque et biblique, soit toutes les traditions écrites connues ! J’ajoute que, d’une part, cette synthèse est entièrement compatible avec l’eschatologie musulmane (bien entendu), et que d’autre part, elle repose sur la science physique la plus rigoureuse, car elle intègre le mois précessionnel équinoxial (deux mille cent soixante ans) comme brique élémentaire de l’échelle spiraloïde du Temps.

Passons sur la profession de foi scientiste accolée à l'estampille d'orthodoxie islamique, qui n'est finalement pas si criante au milieu de tout ce globi boulga new age, qui essaie de faire un mélange amusant entre science physique, Somme Théologique et "initiation" livresque, et qui considère la tradition extrême orientale comme une "tradition écrite" inconnue. Jean Phaure a déjà été évoqué dans le premier épisode. Étant né en 1928, il lui aurait été difficile de participer à la création de la revue Atlantis, qui vit le jour en 1927, mais passons également. Qu'en est-il de cette revue Atlantis ? C'est l'organe de l'association du même nom :

L'association ATLANTIS constitue un Centre de Recherches et d’Études de la Tradition (C.R.E.T)
Association culturelle selon la Loi du 1er juillet 1901, sans but lucratif fondée par Paul Le Cour le 24 juin 1926 à la Sorbonne, à Paris, il fut rejoint par le poète philosophe Philéas Lebesgue.


 

C'est Paul le Cour qui est le fondateur de la revue Atlantis, de même qu'il est le principal propagateur de la "prophétie" de l'ère du Verseau (compte rendu sur son livre cité dans l'article précédent).

Voici un petit regroupement, loin d'être exhaustif, de comptes rendus d'articles de revues qui informent de la façon dont René Guénon s'est prononcé sur le contenu de cette revue:

René Guénon a écrit :
Le Théosophisme :
C’est aussi une phrase apocryphe, mais beaucoup moins inoffensive, et d’ailleurs toujours la même, que nous prête, pour la vingtième fois peut-être, M. paul le cour dans Atlantis (n° de janvier-février) ; il est vrai que, de sa part, rien de ce genre ne peut nous étonner, après avoir vu comment deux noms propres écrits à plusieurs reprises sur un mur pouvaient, à ses yeux, se métamorphoser en une phrase… approximativement latine. Du reste, il n’est même pas besoin d’une imagination aussi fertile pour faire dire à quelqu’un ce qu’il n’a jamais dit, et parfois même tout le contraire de ce qu’il a voulu dire ; il suffit pour cela de détacher un lambeau de phrase de son contexte, et il en est des exemples fameux (Qâla Allahu taâla : Fawaylun lil-muçallîn…). Quoi qu’il en soit, M. paul le cour, dans ce numéro, ne consacre pas moins de deux articles à nous attaquer, d’abord à propos du Symbolisme de la Croix, dont il prétend à son tour traiter à sa façon (ou plutôt à celle  du Hiéron de Paray-le-Monial : Aor-Agni et autres fantaisies déjà connues). puis à propos de l’hermétisme et de quelques-uns de nos articles du Voile d’Isis. Il évoque même le témoignage de tous les gens qui n’ont rien compris à ce que nous écrivons ; s’il savait à quel point nous est indifférente cette « critique », profane, incompétente par définition en matière initiatique ! Nous écrivons pour instruire ceux qui sont aptes à comprendre, non pour solliciter l’approbation des ignorants ; et ce que nous faisons n’a rien à voir avec la littérature, n’en déplaise à M. paul le cour qui confond l’hermétisme avec l’esthétique et qui s’amuse à compter les mots de nos phrases (ce qui l’a sans doute empêché de voir que nous parlions, dans Le Symbolisme de la Croix, d’une représentation géométrique à trois dimensions et d’un sphéroïde indéfini, puisqu’il nous reproche de n’en avoir rien fait !). Il reproduit aussi, contre nous, une lettre d’un certain M. Alvart, en lequel nous croyons bien reconnaître un ancien « adorateur » de Mme Blavatsky (voir Le Théosophisme, chapitre IV, dernier §) ; comme nous y avons déjà implicitement répondu dans notre article du mois dernier, nous n’y reviendrons pas. Mais nous nous en voudrions de ne pas signaler la nouvelle trouvaille linguistique de M. paul le cour : il énonce gravement que « le mot chrétien est un développement du mot croix » ; mais que dire à quelqu’un qui pense apparemment que le latin est dérivé de l’espagnol, puisqu’il écrit que « hermoso en espagnol est devenu formosus en latin » ? Quant à notre article sur La langue des oiseaux (et non pas Le langage des oiseaux), nous maintenons intégralement ce que nous y avons dit de l’origine et du sens premier du mot latin carmen, en dépit de la bizarre et fort peu « normale » étymologie qui a été « signalée » à M. paul le cour, et qui, peut-être, « peut en imposer à certains esprits manquant de sens critique » ; et, franchement, de quel poids s’imagine-t-on que puissent être pour nous des assertions d’orientalistes ? D’autre part si nous avons parlé des oiseaux en question comme symbolisant les anges, c’est que la tradition islamique est formelle sur ce point ; nous n’exprimons pas d’opinions individuelles, et nous n’avons à connaître que la tradition. C’est d’ailleurs bien de la « langue des oiseaux » qu’il s’agissait (le Qorân dit expressément : mantiqat-tayri), et nullement du « chant des oiseaux », qui pourrait avoir une autre signification, mais qui en tout cas n’était pas en cause ; vraiment, notre contradicteur « ne nous paraît pas qualifié pour parler de ces choses ». Souhaitons pourtant que les variations plus ou moins brillantes auxquelles il se livre à ce sujet ne soient pas pour lui le… « champ du signe » ! En effet, s’il est possible que nous « fassions sourire » quelques ignorants qui se croient très forts, M. paul le cour, lui, nous fait franchement rire aux éclats, et les occasions en sont trop rares, en cette maussade fin de Kali-Yuga, pour que nous ne lui en sachions pas quelque gré. Rabbuna ikhallîk, yâ bafuna !
Mai 1932

Atlantis (n° de mai) publie une conférence sur Inspiration et Prophétisme, dont l’auteur, M. Gaston Luce, semble croire que la « clairvoyance » et autres facultés psychiques du même ordre « nous mettent en relation avec le monde de l’esprit », et même qu’elles sont assimilables à « l’intuition envisagée sous sa forme spirituelle et métaphysique » ; ne confondrait-il pas fâcheusement la « métaphysique » avec la « métapsychique »… et « l’esprit » avec « les esprits » ou soi-disant tels ? - Dans diverses notes, M. paul le cour reparle encore à plusieurs reprises du Hiéron du Val d’Or, dont le directeur, paraît-il, « était doué du pouvoir prophétique » (!), et dont il déclare vouloir « continuer l’œuvre » ; enregistrons ces affirmations sans les affaiblir par le moindre commentaire… et attendons sans trop d’impatience la venue de l’« ère du Verseau » !
Juillet 1936

Etudes sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage :
Par une coïncidence plutôt singulière, M. paul le cour, dans le dernier numéro d’Atlantis, annonçait l’ouverture d’une souscription pour essayer de publier, sous le titre : Lettres du Hiéron du Val d’Or, sa correspondance avec la dernière secrétaire dudit Hiéron... Et, juste en même temps, comme nous l’avons signalé, il tombait en extase devant le « dieu à tête d’âne », parce que dans onagre il voyait Aor-Agni ! Où de pareilles imprudences pourront-elles bien finir par nous mener ?
Avril 1933

Dans Atlantis (n° de novembre-décembre), il est question surtout cette fois de l’« Atlantisme », par quoi il faut entendre la tentative de reconstitution de la tradition, atlantéenne, que M. paul le cour s’obstine à confondre avec la Tradition primordiale unique, mais qu’il définit en même temps comme la « religion de la beauté », ce qui est bien spécial, et même doublement. Comme à l’ordinaire, il y a là bien des rêveries, linguistiques et autres ; notons seulement au passage cette curieuse affirmation : « La plus ancienne de toutes les religions eut son point de départ en Atlantis ; cette religion, c’est le Christianisme. » C’est le faire commencer trop tôt ou trop tard, suivant le sens où on l’entend... Naturellement, il est encore question d’Aor-Agni : il paraît qu’Aor est représenté par l’Église et Agni par la Maçonnerie ; mais il est difficile de voir comment l’interprétation proposée peut se concilier avec le fait que la Maçonnerie a les deux colonnes dans son symbolisme (l’Église aussi, d’ailleurs, avec saint Pierre et saint Paul). Quant à une soi-disant « Maçonnerie chrétienne » qui aurait pour signe les « trois points d’Agni » et les « trois points d’Aor » réunis de façon à former le « sceau de Salomon », nous avons connu cela jadis... dans une organisation qui n’était pas maçonnique. Mais le plus amusant, c’est assurément l’idée de réveiller le « Grand-Occident », de funambulesque mémoire ; à quand un nouveau « fort Chabrol » ? Il est vrai que nous savons déjà depuis longtemps que M. paul le cour ne craint pas le ridicule !
Mars 1934

Comptes Rendus :
Atlantis (n° de juin-juillet) publie une conférence de M. J. Toutain sur Le Mythe de Phaéton. — M. Paul Le Cour éprouvant le besoin de nous attaquer encore une fois dans ce même numéro, nous lui ferons savoir : 1° que nous n’avons pas à lui rendre compte des raisons spéciales pour lesquelles nous avons dû, à une certaine époque, voir par nous-même ce qu’il en était réellement de diverses organisations se qualifiant plus ou moins justement d’« initiatiques » ; 2° que le mot « Gnose » signifie exactement « Connaissance », ce qui n’a rien à voir avec le « gnosticisme », et que, pour notre part, nous ne l’avons jamais pris dans un autre sens ; 3° que, depuis le temps assez lointain dont il parle, nous avons si peu varié qu’il pourra retrouver, sous la signature à laquelle il fait allusion, des articles dont le contenu est reproduit intégralement, avec d’autres développements, dans quelques-uns de nos livres les plus récents. Quant à l’hermétisme, sur lequel notre article publié ici en mai dernier ne prétendait donner qu’un aperçu très général, n’ayant rien à voir avec telles ou telles connaissances précises dont il ne nous convient pas de parler présentement, ce n’est, nous le répétons, qu’un aspect secondaire de la tradition; et, de plus, nous ne voyons pas en quoi l’hermétisme chrétien pourrait être plus « essentiel » que l’hermétisme islamique, ou que la partie correspondante d’autres formes traditionnelles... Mais est-ce bien la peine de relever les opinions de quelqu’un qui trouve des choses extraordinaires dans le retournement des mots Maroc et Suez, sans se douter qu’ils ne sont qu’une vulgaire corruption des noms arabes Merakesh et Es-Swês ? Nous ne pouvons d’ailleurs nous étonner de rien de la part de l’auteur d’une note sur le «baragouin» (n° de mars), où se lit cette assertion prodigieuse : «En hébreu, BaRa, premier mot de la Genèse, veut dire commencement» ! Nous avions jugé charitable de ne pas citer cette phrase en son temps, mais ces mauvaises plaisanteries se prolongent un peu trop; que M. paul le cour (sans majuscules, puisqu’il semble y tenir) emploie donc ses loisirs à méditer sur les mystères du mot bafuna, et qu’il s’applique à lui-même ce que son admirable perspicacité ne manquera pas d’y découvrir !
Novembre 1931

Le numéro de juillet-août est consacré, pour la plus grande partie, à une étude sur Les poèmes homériques et l’Atlantide; pour parler plus exactement, il s’agit de la localisation d’une partie des voyages d’Ulysse hors de la Méditerranée : ce serait un beau sujet pour qui serait capable de le traiter autrement qu’avec son imagination; mais nous devons, pour cette fois, renoncer à relever les fantaisies linguistiques et historiques de M. paul le cour, car il y en a vraiment trop !
Octobre 1933

Donc, encore une fois, aucun amalgame et aucune compromission possibles avec ce fatras new age.