Plan :
Introduction.
1) Édition précédente.
2) Nouvelle couverture « pour jeunes ».
3) Informations « utiles » jointes au livre.
a) Partie sur l’œuvre.
b) Partie sur Guénon.
a) Partie sur l’œuvre.
b) Partie sur Guénon.
4) Informations sans rapport avec le contenu du livre.
a) Chasse gardée.
b) Les diplômes d’une « Fondation » sans statut.
a) Chasse gardée.
b) Les diplômes d’une « Fondation » sans statut.
Conclusion.
Annexe – L’œuvre de René Guénon et les milieux universitaires.
Mise à jour : droit de réponse ? (14/10/2015)
Introduction.
Le caractère préoccupant de l’état actuel de l’œuvre de Guénon a déjà été abordé ici maintes fois : plusieurs livres ont une forme défectueuse ou ne sont plus réédités. Les recueils posthumes sont incomplets et sans cohérence, issus de politiques éditoriales successives ne s’accordant pas, et apportant chacune leur lot de défauts, autant d’obstacles supplémentaires et inutiles à la compréhension déjà difficile de l’œuvre.
Ce qui est positif, car heureusement il subsiste du positif, c’est qu’il y a tout de même certains livres édités du vivant de Guénon et sous son contrôle, qui ont toujours été publiés tels quels, c'est-à-dire selon son souhait.
Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps fait partie de ceux-là. Ou plutôt faisait partie, car c’est celui-ci qu’une « Fondation René Guénon » a choisi de remodeler pour inaugurer sa « création ».
1) Édition précédente.
L’édition Gallimard qui était vendue jusqu’alors nous paraissait assez correcte, texte d’assez bonne qualité (nous y avons trouvé très peu de fautes, cependant sans version de référence à comparer), extérieur sobre, avec une réserve toutefois sur l’illustration de la couverture (censée différencier les différents livres de la collection ?), qui nous semble assez douteuse : on se demande ce qu’elle est censée représenter, et pourquoi elle est associée spécialement à ce livre. Elle est hideuse dans son ensemble : un personnage torturé, tordu comme un bonzaï, se tient hébété au milieu de caractères fantaisistes en désordre, qui l’entourent et qui semblent lui avoir donné un torticolis, à force de se pencher pour chercher en vain dans quel sens ils pourraient être déchiffrés. On a l’impression que c’est l’illustrateur qui a voulu se représenter lui-même allégoriquement, avec l’effet qu’aurait produit sur lui la lecture du livre.
Mais c’est une supposition, nous sommes bien sûr preneur d’une autre explication, qui justifierait son association au livre.
Mis à part cette question de couverture, l’édition du Règne de la Quantité nous semblait très bien, de bonne qualité (surtout en comparaison des livres des Éditions Traditionnelles et de Véga/Trédaniel), et convenant au respect de l’auteur : pour un livre constitué et édité sans préface du vivant de l’auteur, il n’y avait aucune raison de faire d’ajouts, le livre se suffisant à lui-même, et il n’y avait pas lieu d’interférer avec son travail.
Or nous avons découvert avec dépit que la nouvelle réédition du Règne de la Quantité n’allait plus du tout dans ce sens du respect de l’auteur.
On peut feuilleter une partie de l’ouvrage ici :
2) Nouvelle couverture « pour jeunes ».
Dès le premier abord, nous avons été assez surpris de voir l’illustration bizarre évoquée ci-dessus, grossie de façon irrégulière, façon « tag ». Et au milieu de cette illustration, le titre du livre, auquel on a décidé d’enlever les majuscules. Pourquoi ce changement ? Il suffit d’ouvrir un ouvrage de Guénon pour voir que lui-même est très précis dans l’usage des majuscules pour les titres de ses livres, et concernant Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps il l'écrit toujours ainsi. Mais cette modification a sûrement été pensée comme faisant également plus « jeune ».
Nous trouvons pour le moins étrange, dans une collection « tradition nouvelle série », d’insister avant tout sur l’aspect « nouveauté ». Même sans comprendre ou même connaître quoi que ce soit à l’œuvre de Guénon, il y a là quelque chose de contradictoire qui aurait dû sauter aux yeux, même du commercial le plus inconséquent. De plus, ce « rajeunissement » nous semble manquer plutôt sa cible. Il est bien connu que le « jeunisme », cela ne fait pas « jeune » mais simplement ringard.
Mais ce choix reste au final de la responsabilité de la « Fondation », qui se présente comme l’organisme régisseur du projet éditorial.
Nous allons maintenant passer aux ajouts greffés sur le livre original, directement attribuables à la « Fondation », d’abord ceux qui concernent le livre directement, puis ceux qui n’ont rien à voir avec lui.
3) Informations « utiles » jointes au livre.
Après le livre, on trouve une « note » et une « annexe » dans un style assez pompeux et dans un français approximatif. P. 291, le livre est d’abord présenté comme un maître ouvrage (sic) alliant deux axes majeurs de son œuvre :
l’antimodernité
C’est très réducteur, anti-« quelque chose », cela conviendrait éventuellement à un réactionnaire, qui se construit en référence à ce contre quoi il prétend s’opposer :
Vous me parlez de M. Maritain ; personnellement, j’ai toujours eu d’amicales relations avec lui ; quant aux idées, nous nous accordons surtout à un point de vue négatif, je veux dire dans le sens “antimoderne”. Pour le reste, il est malheureusement, lui aussi, plein de préventions contre l’Orient ; il l’était du moins, car il semble que ses préventions se soient atténuées depuis quelque temps ; mais, chose étrange, il y a chez lui comme une sorte de crainte de ce qu’il ne connaît pas, et c’est regrettable, car cela l’empêche d’élargir son point de vue.
René Guénon, correspondance à Martinez Espinosa, 24/08/1930.
Guénon n’était pas antimoderne, mais simplement traditionnel.
et la doctrine traditionnelle des cycles cosmiques dans une approche de l’histoire totalement aboutie
Outre que cette phrase a une tournure assez profane, ce qui y est dit n’est pas vrai : les cycles cosmiques sont évoqués en rapport avec le changement de cycle, mais la théorie des cycles cosmiques n’est pas exposée en elle-même et dans son ensemble, ce que Guénon n’a jamais fait, comme il le dit dans son article Quelques remarques sur la doctrines des cycles cosmiques, qui y est pourtant consacré plus spécialement :
On nous a parfois demandé, à propos des allusions que nous avons été amené à faire çà et là à la doctrine hindoue des cycles cosmiques et à ses équivalents qui se rencontrent dans d’autres traditions, si nous ne pourrions en donner, sinon un exposé complet, tout au moins une vue d’ensemble suffisante pour en dégager les grandes lignes. À la vérité, il nous semble que c’est là une tâche à peu près impossible, non seulement parce que la question est fort complexe en elle-même, mais surtout à cause de l’extrême difficulté qu’il y a à exprimer ces choses en une langue européenne et de façon à les rendre intelligibles à la mentalité occidentale actuelle, qui n’a nullement l’habitude de ce genre de considérations. Tout ce qu’il est réellement possible de faire, à notre avis, c’est de chercher à éclaircir quelques points par des remarques telles que celles qui vont suivre, et qui ne peuvent en somme avoir d’autre prétention que d’apporter de simples suggestions sur le sens de la doctrine dont il s’agit, bien plutôt que d’expliquer celle-ci véritablement.
En fait on oublie le plus important, qui est le caractère métaphysique du livre, ce qui va au-delà de la théorie des cycles cosmiques :
Nous ne croyons pas à l’« évolution », au sens que les modernes donnent à ce mot ; les hypothèses soi-disant scientifiques qu’ils ont imaginées ne correspondent nullement à la réalité. Il n’est d’ailleurs pas possible de faire ici plus qu’une simple allusion à la théorie des cycles cosmiques, qui est particulièrement développée dans les doctrines hindoues ; ce serait sortir de notre sujet, car la cosmologie n’est pas la métaphysique, bien qu’elle en dépende assez étroitement ; elle n’en est qu’une application à l’ordre physique, et les vraies lois naturelles ne sont que des conséquences, dans un domaine relatif et contingent, des principes universels et nécessaires.
René Guénon, La Métaphysique orientale, 17 décembre 1925.
Mais de toutes manières, pour savoir de quoi parle le livre, le mieux n’est-il pas de le lire, tout simplement ?
Vient ensuite une tentative de dresser le contexte de l’écriture du livre, qui se conclut par ce surprenant constat :
Vient ensuite une tentative de dresser le contexte de l’écriture du livre, qui se conclut par ce surprenant constat :
La seule allusion à la guerre se trouve dans l’avant-propos : « les événements.... », à son point de vue il n’en était nul besoin.
Oui, mais dans ce cas pourquoi ces efforts maladroits pour tenter de recontextualiser un livre que Guénon a voulu universel ? Pensant que cela ne suffit pas, le préfacier annonce la suite :
Cette réédition faite dans le cadre de la Fondation René Guénon donne en annexes quelques éclaircissements sur sa composition, les circonstances de sa publication avec la création de la collection « Tradition » chez Gallimard, sa réception dans la presse, les milieux intellectuels parisiens et les réseaux qui l’accompagnaient dans sa démarche depuis une vingtaine d’années.
Contextualisation, rapetissement, diversion : le plan de l'annexe est vraiment désolant, et les craintes qu'il suscite vont malheureusement se trouver confirmées par la suite.
3) a) Partie sur l’œuvre.
P. 293, on trouve une laborieuse description des reprises d’articles, qui n’est même pas complète.
P. 294 :
Neuf chapitres constituent en fait des reprises d’articles
Non, il y a 14 articles repris. Il manque :
- Mesure et manifestation (juin 1939), ch. 03 ;
- Mythologie scientifique (décembre 1938), ch. 18 – Mythologie scientifique et vulgarisation ;
- Résidus psychiques (juillet 1937), ch. 27 ;
- Du double sens des symboles (juillet 1937), ch. 30 – Le renversement des symboles ;
- De la confusion du psychique et du spirituel (mars 1935), ch. 35.
Dans tous les cas la réécriture n’a pas touché la partie doctrinale et se présente sous la forme d’un « toilettage »
Ce vocabulaire de coiffeurs pour chiens convient-il sérieusement à l’œuvre de Guénon ?
rendu nécessaire par l’évolution des connaissances scientifiques
Nous avons beau avoir cherché, nous n’avons pas trouvé de passage justifiant cette affirmation gratuite. Référence svp…
ou de sa documentation personnelle. A.K. Coomaraswamy, par exemple, qui résidait aux Etats-Unis avec lesquels les communications n’étaient pas complètement coupées, lui fournit une documentation importante sur le chamanisme.
C’est complètement faux, les éléments fournis par Coomaraswamy sont déjà dans l’article original, À propos d’« animisme » et de « chamanisme », de juin 1937.
Les passages sur Bergson ou la psychanalyse (« l’intuitionnisme contemporain », « les méfaits de la psychanalyse ») ont été largement réécrits, sauf pour la partie doctrinale de ce dernier, en fin de chapitre ;
Pour le premier, le plus gros de la modification consiste en l’ajout de 2 § et le retrait d’un. Pour le second, c’est surtout que le début de L’erreur du « psychologisme » de janvier-février 1938 s’est retrouvé à la fin du ch. 24 – Vers la dissolution, et que le contenu du ch. 34 – Les méfaits de la psychanalyse n’est plus dans le même ordre. Mais la grande majorité du contenu a été réutilisée.
P. 294-295 :
il en allait de même pour les références occultistes dont la pertinence n’allait plus de soi en 1945 (« de l’anti-tradition à la contre-tradition »).
Faux, il n’y a aucune référence occultiste dans l’article original Initiation et contre-initiation de février 1933.
« Déviation et subversion » a fait l’objet d’une réécriture presque complète alors que « Tradition et traditionalisme » est très peu changé.
C’est surtout que Les contrefaçons de l’idée traditionnelle n’a pas seulement aidé à constituer le ch. 29 – Déviation et subversion, mais aussi le ch. 34 – La pseudo-initiation. Et Tradition et traditionalisme n’est pas moins changé que les autres, tous les § sont impactés, pour certains la majorité du contenu.
Parmi les thèmes récurrents celui de Caïn et Abel comme symboles de l’équilibre cyclique traverse toute son œuvre, depuis ses premières notes de séance dans l’Ordre du Temple rénové, en date du 6 mars 1908 (1)
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1 – Il avait 22 ans ; cette tentative éphémère a laissé quelques traces d’archives dans les papiers de Louis Caudron à Amiens qui s’occupa de la mise en caisse et de la conservation des affaires que Guénon ne souhaitait pas voir envoyer au Caire où il résidait depuis 1930.
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1 – Il avait 22 ans ; cette tentative éphémère a laissé quelques traces d’archives dans les papiers de Louis Caudron à Amiens qui s’occupa de la mise en caisse et de la conservation des affaires que Guénon ne souhaitait pas voir envoyer au Caire où il résidait depuis 1930.
Quel intérêt de parler allusivement, à la manière d’une anecdote pittoresque, d’un événement si difficile à expliquer, et sur lequel le préfacier a visiblement aussi peu d’informations que de compétence ? Guénon a participé à l’Ordre du Temple Rénové, mais il n’était pas le seul, et c’est pourquoi il n’a jamais réclamé la paternité de ce qui a pu y être produit.
Nous avons déjà évoqué ce qui concerne la signature T. de l’étude sur l’Archéomètre, qui est une reprise des conférences de l’Ordre du Temple Rénové (signature collective, du témoignage même de Guénon).
Pourquoi évoquer ce sujet ici, si ce n’est pour semer la confusion sur l’œuvre, en tentant de tout réduire à des histoires d’individualités ?
et une série de textes donnés dès 1914 (2) : « Quelques documents inédits sur l’Ordre des Elus Coëns » où le développement cyclique des générations depuis Adam est construit sur le triangle Seth/Caïn/Abel.
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2 – La France chrétienne antimaçonnique,avril-mai-juin-juillet, 1914, signés, « Le Sphinx ».
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2 – La France chrétienne antimaçonnique,avril-mai-juin-juillet, 1914, signés, « Le Sphinx ».
Est-ce une plaisanterie ? Les documents inédits sur l’Ordre des Élus Coëns ne sont évidemment pas du Sphinx, mais ce sont des instructions de Martinès de Pasqually, probablement rédigées par un de ses disciples. Et c’est Le Sphinx qui le dit lui-même dans le 1er article, le seul qu’il signe (et le nom indiqué pour la revue est erroné, à cette date c’est La France Antimaçonnique). Les quatre autres articles contiennent les documents en question, et c’est dans la 5e instruction que Caïn et Abel sont évoqués. Cela contredit au passage l’originalité que le préfacier veut donner à Guénon concernant ce sujet, puisque Martinès de Pasqually a vécu près de 2 siècles plus tôt. Mais là encore, l’individualité de l’auteur n’importe pas en réalité. Enfin c’est sûrement impossible à comprendre pour certains, pas la peine d’insister.
Il revint sur la question dans Le roi (sic) du monde (1927) puis dans une série d’articles du Voile d’Isis : « Seth », octobre 1931, « Quelques remarques sur le nom d’Adam », décembre 1931, « Caïn et Abel », janvier 1932, « Kabbale et science des nombres », août-septembre 1933.
C’est bête, parce que si le préfacier voulait absolument indiquer la première fois où ce sujet est évoqué dans l’œuvre de Guénon, la bonne réponse était dans les écrits de l’entité Palingénius, dans La Gnose, en janvier 1912, dans Les Conditions de l’Existence corporelle, note 25. Palingénius qui se réfère à cette occasion à Fabre d’Olivet, bien antérieur à l’Ordre du Temple Rénové ou au Sphinx.
Mais nous nous demandons vraiment quel intérêt il y a à palabrer sur un point particulier comme celui-là plus qu’un autre, vu la densité du Règne de la Quantité et tous les sujets auxquels il touche. À quoi cela sert-il, à s’écouter parler ? à montrer les travers de sa lecture subjective ?
Enfin cette partie est encore la moins injustifiable si l’on peut dire, puisqu’elle aborde l’œuvre en elle-même. La suite quitte ce domaine pour ne s’intéresser qu’à René Guénon.
3) b) Partie sur Guénon.
Rappelons d’abord cette citation déjà rapportée ici :
P.-S. – Nous prions nos lecteurs de noter : […] 3° qu’il est pareillement inutile de nous demander des renseignements « biographiques » sur nous-même, attendu que rien de ce qui nous concerne personnellement n’appartient au public, et que d’ailleurs ces choses ne peuvent avoir pour personne le moindre intérêt véritable : la doctrine seule compte, et, devant elle, les individualités n’existent pas.
René Guénon, Voile d’Isis, novembre 1932, comptes rendus de revues.
Donc, alors que l’ensemble du texte ajouté est déjà injustifié, cette partie l’est pour une raison supplémentaire, et ceci indépendamment de son contenu.
Qu’en est-il de ce contenu ? Comme on pouvait le redouter c’est catastrophique. Sous un saupoudrage d’effets de style d’assez mauvais goûts (comme « maistrienne » (p. 297), « guénonienne » (p. 298), « ermite de Dukki » (pp. 299 et 301), alors que Guénon était marié et qu’il avait 4 enfants, qu’il recevait du monde à part quelques inconnus qu’il faisait patienter – expression de Accart aussi stupide que celle de Chacornac sur « la vie simple »), le préfacier développe des considérations pragmatiques d’un intérêt pour le moins discutable, comme les rapports de Guénon avec l’éditeur (où Gallimard en prend d’ailleurs pour son grade), l’opinion sur le livre d'un employé de Gallimard, ou encore d’autres personnes quelconques, ou les banales discussions entre les commerciaux et des connaissances de Guénon.
Ces dernières sont décrites comme un réseau organisé, et appelées des « fidèles » (pp. 295, 296, 299), autre effet de style vraiment malheureux, qui donne un air de secte totalement dénué de fondement, et qui est aussi faux dans le fond que dans la forme, les personnes appelées ainsi étant juste des contemporains, dont la bienveillance envers Guénon est loin d’être évidente. Le préfacier cite en fait des auteurs qui ont trahi Guénon, Allar qui est devenu le traducteur de Heidegger et aussi krishnaménoniste, Ziegler qui a introduit des concepts évoliens en le traduisant en allemand, Pallis qui a donné des idées à Schuon sur le christianisme. Et puis qu’apporte le fait qu’il soit alpiniste ? Cette précision fait tellement « mondain », il aurait pu en dire autant d’Evola après tout, sans parler de l’hostilité de ce dernier ou de celle de Clavelle.
Le préfacier tente d’exposer le sentiment de Guénon devant la réception du livre. À partir d’une sélection d’extraits de correspondances, on veut nous faire découvrir un auteur qui serait aux abois, obsédé par les ventes de ses livres et passant son temps à solliciter ses correspondants. D’abord, la sélection en question est très partielle et orientée, et passe sous silence une correspondance très riche, notamment en doctrine. Ne sont retenus que des passages anecdotiques sur le thème de l’édition, comme il en existe d’autres sur le climat ou la santé, à partir desquels on pourrait par le même procédé faire croire que Guénon était obsédé par l’humidité de l’air ou par la grippe. Ensuite, l’interprétation des citations est complètement faussée : ainsi Guénon ne démarchait pas ses correspondants pour avoir des traductions de ses livres, mais il répondait aux propositions qu’on lui faisait, et le fait qu’il commente la réaction stupide d’un universitaire ne veut pas dire qu’il était affecté en quoi que ce soit par les milieux universitaires.
Comme la correspondance à Benoist est citée, on peut en citer d’autres extraits, qui montrent qu’au contraire de ce que prétend le préfacier, Guénon ne misait pas du tout sur ces milieux, mais qu’il s’intéressait plutôt à l’éventualité pour certains individus d’arriver à s’en libérer.
j’ai été fort heureux de tout ce que vous me dites de l’effet produit sur vous par la lecture de mes ouvrages. Tout ce que vous dites par ailleurs sur l’incompréhension de certains est parfaitement juste ; et je pense, d’après tout ce que j’ai pu constater jusqu’ici, que, d’une façon générale, les milieux universitaires sont plus particulièrement défavorables. Il y a là une formation qui rend les intelligences à peu près impénétrables à tout ce qui ne rentre pas dans certains cadres plutôt étroits, ou à tout ce qui risque de déranger certaines théories toutes faites ; et il est certain que, comme vous le dites très bien, les questions dont on a fait une affaire de simple érudition ne correspondent, pour ceux qui les envisagent ainsi, à aucune réalité.
[…]
Je connais M. René Grousset et ai toujours été personnellement en bons termes avec lui, mais je dois dire qu’en effet je n’ai jamais cru de sa part à la possibilité d’une compréhension bien profonde. Quant à M. Gabriel Marcel, je ne connais que son nom et j’ignore tout à fait quelles sont ses tendances.
07/03/1931. […]
Je connais M. René Grousset et ai toujours été personnellement en bons termes avec lui, mais je dois dire qu’en effet je n’ai jamais cru de sa part à la possibilité d’une compréhension bien profonde. Quant à M. Gabriel Marcel, je ne connais que son nom et j’ignore tout à fait quelles sont ses tendances.
Merci aussi pour les renseignements concernant Gabriel Marcel ; il est certain que sa formation universitaire doit être pour lui un obstacle difficile à surmonter ; et c’est peut-être à cela que tient pour une bonne part cette tournure d’esprit analytique que vous trouvez en lui.
30/12/1931.
Maintenant, c’est à moi de vous remercier à mon tour pour votre idée d’une vitrine consacrée à mes ouvrages dans la librairie dont vous parlez et d’un article dans la Revue de la Cité Universitaire ; il me semble en effet que ce ne peut être qu’une excellente chose, ne fût-ce que pour se rendre compte de ce que ce milieu peut donner. Je dois dire que, jusqu’ici, les universitaires m’ont toujours paru les plus fermés de tous à une compréhension quelconque ; aucune réaction de ce côté, aucun signe d’intelligence ; et pas même une manifestation d’hostilité, mais l’inertie complète est ce qui est peut-être le plus grave ! Enfin, avec des jeunes gens qui n’ont pas encore eu le temps d’être complètement “déformés” par cette éducation, il est possible qu’il y ait tout de même quelque chose à faire ; vous serez bien aimable de me tenir au courant des résultats de cette “expérience”.
02/03/1934.
C’est pour cela que le « succès » n’était pas l’ objectif premier de Guénon : il ne tentait pas de séduire les milieux littéraires ou universitaires, comme on veut nous le faire croire, mais son œuvre s’adresse uniquement à l’élite potentielle. Et c’est ce qui est dit dans… l’avant-propos du Règne de la Quantité. Le préfacier l’a-t-il seulement lu ?
si nos contemporains, dans leur ensemble, pouvaient voir ce qui les dirige et vers quoi ils tendent réellement, le monde moderne cesserait aussitôt d’exister comme tel, car le « redressement » auquel nous avons souvent fait allusion ne pourrait manquer de s’opérer par là même ; mais, comme ce « redressement » suppose d’autre part l’arrivée au point d’arrêt où la « descente » est entièrement accomplie et où « la roue cesse de tourner », du moins pour l’instant qui marque le passage d’un cycle à un autre, il faut en conclure que, jusqu’à ce que ce point d’arrêt soit atteint effectivement, ces choses ne pourront pas être comprises par la généralité, mais seulement par le petit nombre de ceux qui seront destinés à préparer, dans une mesure ou dans une autre, les germes du cycle futur. Il est à peine besoin de dire que, dans tout ce que nous exposons, c’est à ces derniers que nous avons toujours entendu nous adresser exclusivement, sans nous préoccuper de l’inévitable incompréhension des autres ; il est vrai que ces autres sont et doivent être, pour un certain temps encore, l’immense majorité, mais, précisément, ce n’est que dans le « règne de la quantité » que l’opinion de la majorité peut prétendre à être prise en considération.
L’annexe se termine par la reproduction (p. 302) d’un ouï-dire de Clavelle à Robin, cynique et sournois comme à son habitude, et dont la phrase ne veut rien dire :
« _ en ce qui concerne les événements de la fin du cycle, vous en savez autant que moi puisque je ne sais à ce sujet que ce que Guénon en a écrit et l’état apparent du monde d’aujourd’hui- mais ce qui différencie pour moi Le Règne d’Orient et Occident et de La Crise, c’est que Le Règne, étant donné la proximité de la fin du cycle (selon Guénon), ne laisse pas la place à un « redressement » qui se produirait dans le cours de l’histoire »
Il s’est écoulé 18 ans entre les deux livres, et 70 ans entre Le Règne de la Quantité et maintenant, la proximité du second avec la fin par rapport au premier devient de plus en plus relative. Et sur le « redressement », Guénon n’a pas changé un iota de ce qu’il avait écrit dans la conclusion de l’Introduction générale, rééditée après 1945 avec les mises au point relatives au Bouddhisme ; mais cela, Clavelle, qui fait dire n’importe quoi à Guénon, n’y a pas pensé.
Et ce sont les borborygmes de ce personnage, dont on connaît l’hostilité à Guénon, notamment avec son « Document Confidentiel Inédit », que le préfacier a choisis pour conclure le livre…
4) Informations sans rapport avec le contenu du livre.
4) a) Chasse gardée.
Revenons au début du livre. En l’ouvrant, on aperçoit la mention « édition définitive ». Nous aurions plutôt pensé que l’édition définitive était celle voulue par l’auteur ?
Juste après, p. 9, on tombe sur une « Annonce », d’une « Fondation René Guénon en cours de création ». Est-ce une seconde fondation ? Parce qu’il y en a déjà une, qui existe officiellement depuis au moins 5 ans (nous tenons cette information de quelqu’un alors de l’intérieur et de confiance), et depuis encore plus longtemps de façon informelle, qui a tenu de nombreuses réunions et qui a déjà connu maintes péripéties. Pourquoi croit-on utile de mentir ainsi ? Est-ce pour tenter de faire accepter le fait que cette « Fondation » n’a jamais produit aucun résultat depuis sa création ?
On s’attend à trouver là un projet éditorial d’ensemble, mais il n’en est rien, il est seulement fait allusion en passant à d’éventuels ajouts et remaniements secondaires. L’objet principal de cette annonce est une sorte de déclaration de « chasse gardée », rappelant la législation sur les droits d’auteurs, l’obtention récente des droits sur les livres de Guénon des Éditions Traditionnelles, et le droit réservé de la « Fondation » de faire quoi que ce soit avec l’œuvre.
L’important à court terme devrait être le sujet de la disponibilité des livres à un prix raisonnable. La « Fondation » annonce que livres disponibles ou non, c’est elle qui fait ce qu’elle veut. Nous trouvons cela assez insultant pour les lecteurs. Lorsque l’inconséquence laisse un vide, ce vide est vite comblé, et lorsqu’on interdit toute initiative aux personnes de bonne volonté, on laisse la place à des choses peu recommandables. En fait, il y a longtemps que des livres de Guénon qui sont devenus indisponibles sont édités au mépris du droit d’auteur.
Le Théosophisme par exemple :
Le Théosophisme par exemple :
Mais il y a pire : depuis plusieurs années, les Éditions Hadès vendent des Guénon, édités par les Éditions Griffe Rouge (ce n’est pas très loin de l’âne rouge) :
L’Homme et son devenir selon le Vêdânta :
Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage :
Aperçus sur l’Initiation :
Nous doutons qu’un éditeur avec des moyens modestes accepte de prendre en charge des livres quand la place est déjà occupée par d’autres. Lorsque la « Fondation » dit qu’elle « confiera éventuellement les livres à l’éditeur de son choix », nous trouvons qu’elle camoufle assez mal son attachement unique et inconditionnel à Gallimard.
Est-ce que la « Fondation » pense que sa « chasse gardée » va suffire à arrêter ces éditions pour le moins problématiques ? Est-ce que cela lui importe seulement, nous en doutons fortement.
Ce qui se dégage de cette annonce, c’est surtout un déplorable esprit boutiquier, qui tente de contrer les possibles initiatives qui seraient favorables à l’œuvre de Guénon, dont la « Fondation » déclare avoir pris désormais possession, sans même mentionner une seule fois la prise en compte des souhaits de l’auteur. La volonté d’étouffer l’œuvre, la « conspiration du silence » dont elle est l’objet, les tentatives pour la couvrir d’interférences, n’est pas nouvelle (concernant l'édition, Guénon a connu de son vivant la malveillance de Rouhier, l'éditeur de Véga, et quelques années après sa mort, Amadou a réussi à faire publier une honteuse édition du Symbolisme de la Croix, affublée d'une préface de sa composition), mais nous assistons ici à une nouvelle forme.
4) b) Les diplômes d’une « Fondation » sans statut.
Les enfants de Guénon sont mis en avant, et personne d’autre. Nous craignons qu’on les utilise uniquement comme faire valoir, d’autant que ce ne sont pas des personnes qui sont intéressées par le contenu de l’œuvre en lui-même, mais qui ont juste des liens familiaux avec l’auteur.
P. 10 :
La Fondation déclare expressément n’être liée à aucune religion particulière, ni à aucun mouvement, école, groupe ou parti, quels qu’ils soient.
Nous ne comprenons pas trop ce que cela signifie. Le public ne mérite-t-il pas de savoir qu’en réalité presque tous les membres de cette « Fondation » font partie du comité de rédaction de la revue Politica Hermetica, et/ou de l’EPHE (École pratique des Hautes Études, section des sciences religieuses), dont cette revue est l’organe ? Pourquoi, pour prendre un exemple parlant, ne met-on pas en avant que Jean-Pierre Laurant en est un membre éminent, et que c’est lui qui fait l’intermédiaire entre Gallimard et les héritiers, dont il est parvenu à beaucoup se rapprocher au fil des années ? Ce serait plus utile pour comprendre l’état d’esprit qui dirige cette « Fondation ».
Créée en 1886, la Section des sciences religieuses est originale par son domaine d'étude : les faits religieux, qu’elle aborde dans un esprit laïque et pluraliste. Favorisant le comparatisme et l’interdisciplinarité, elle est la seule en France à couvrir ce domaine de façon si étendue et par des approches scientifiques aussi variées.
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Ajout du 13/12/2015 : La page ci-dessus a été effacée depuis, mais on peut consulter une archive du 16/04/2015 :
https://web.archive.org/web/20150416030938/http://www.ephe.fr/recherche/section-des-sciences-religieuses/
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Le site où est donné le comité de rédaction de la revue en question a été effacé, mais il est encore consultable ici (archive du 25/11/2014) :
COMITÉ DE RÉDACTION
Xavier Accart
Michel Bouvier
Jean-Pierre Brach
Emmanuel Kreis
Jean-Pierre Laurant
Pierre Mollier
† Victor Nguyen
Marco Pasi
Émile Poulat
Jérôme Rousse-Lacordaire
http://web.archive.org/web/20141125220115/http://www.politicahermetica.com/Comite/Comite_de_redaction.html Xavier Accart
Michel Bouvier
Jean-Pierre Brach
Emmanuel Kreis
Jean-Pierre Laurant
Pierre Mollier
† Victor Nguyen
Marco Pasi
Émile Poulat
Jérôme Rousse-Lacordaire
Il y a un nouveau site, où l’on peut consulter leur programme :
Qu’est-ce qu’une approche scientifique de l’ésotérisme, quels instruments de mesure prendre en compte et quelles limites donner au champ ? La méthode historique, telle qu’elle a été définie, au cours des dernières décennies, dans les travaux de l’École pratique des Hautes Études, nous guide et fournit la réponse aux deux premières questions ; la troisième renvoie à la réception de l’ésotérique dans les sociétés contemporaines, au «politique», au sens large. Dans ce domaine, tant au niveau de l’opinion publique en général dans la vie de la cité que du rapport aux institutions, quelles soient universitaires, religieuses ou proprement politiques, le travail de l’historien doit s’articuler ici à celui du sociologue dans un approche globale d’un phénomène récurrent en dépit des rejets successifs. C’est dans cette perspective que Politica Hermetica travaille depuis 1985 en publiant les Actes d’un colloque annuel sur des thèmes choisis dont vous trouverez la liste, accompagnée des noms des intervenants, dans les pages de ce site.
« Approche scientifique », « méthode historique », « historien », « sociologue ». Ce sont ces modernes qui prétendent s’approprier l’œuvre de Guénon ?
Pendant que nous parlons de « groupes » ou de « mouvements », serait-il indiscret de demander si une certaine « fraternité du Paraclet » est considérée comme telle ou non ? Un bon nombre des membres de la « Fondation » est également affilié à cette organisation pseudo-initiatique assez suspecte.
L’annonce se termine curieusement en petite annonce, où un des enfants « demande instamment » qu’on lui envoie des correspondances.
« Fondation » « en cours de création », avertissements pour les droits qui se terminent en 2022, droits des Éditions Traditionnelles qui viennent d’être récupérés, injonctions de fournir des correspondances : quel sens ces déclarations auront-elles encore dans quelques années, alors qu’aujourd’hui l’ensemble est déjà ridicule ? Est-ce que ces déclarations, pour le moins circonstancielles, ont leur place dans une édition qu’on déclare « définitive » ? Ne voit-on pas la contradiction ?
Juste après cette annonce, on est surpris de tomber directement sur l’avant-propos du Règne de la Quantité fait par Guénon, si bien que pendant une seconde nous avons cru que c’était un autre texte additionnel.
Cela n’est pas fait au hasard : en réalité le livre est encadré entre ces ajouts, comme un prévenu entre deux gendarmes, et il a même été jugé préférable, dans la table des matières (p. 303), de détacher l’avant-propos de Guénon du reste du livre et de le coller à l’annonce, pour faire apparaître le livre encore plus dépendant de ladite « Fondation ».
Conclusion.
La chose est donc manifeste : il y a une tentative d’appropriation de l’œuvre de Guénon par certains milieux universitaires, qui veulent la neutraliser et la soumettre à leurs méthodes, piller des archives encore inédites comme des détrousseurs de tombes, pour se valoriser par elles dans des productions d'érudition, qui deviennent ainsi les seuls « enjeux d'une lecture ». Productions dans lesquelles le lecteur ne doit trouver que des bribes dispersées des textes confisqués, des « reformulations » caricaturales et des rumeurs, et voir son attention détournée de cette œuvre qui les dérange. Ils agissent de manière cachée et insidieuse, parce qu’en réalité ils ne peuvent trouver aucune emprise sur l’œuvre, qui de plus est assez claire sur leur compte, comme les extraits déjà cités le montrent, et ceux que nous fournissons plus loin, dans une annexe également, celle-là entièrement faite de textes de Guénon.
Cette regrettable ingérence ne date pas d’hier :
nous n’avons jamais eu l’intention de nous adresser qu’à ceux qui ont « des yeux pour voir et des oreilles pour entendre » et non à ceux que certains préjugés et certaines « croyances » paraissent aveugler irrémédiablement ; mais pourquoi faut-il que ceux-ci, philosophes universitaires, orientalistes ou autres, se mêlent trop souvent de parler de choses qui échappent à leur compréhension et qu’ils nous obligent ainsi à la peu agréable besogne de rectifier les erreurs et les confusions qu’ils commettent alors inévitablement ?
Études traditionnelles, mars 1938, comptes rendus de livres, Roger A. Lacombe. – Déclin de l’Individualisme ?
À ces universitaires, nous demandons à notre tour : que Guénon peut-il bien vous avoir fait ? Pourquoi même vous en occupez-vous ? Les sujets futiles pouvant assouvir votre besoin de tourner en rond ne manquent pourtant pas, pour que vous n’exerciez votre douloureuse incompétence sur ceux qui ont de l’importance.
Il paraît que le préfacier se présente publiquement comme détenteur d’un diplôme et comme “Spécialiste du soufisme et de l’œuvre de René Guénon”. Si nous avons été injuste quelque part, nous ne doutons donc pas qu’il nous adressera une cinglante réponse de fond, avec toute la « rigueur scientifique » qui caractérise les universitaires de sa trempe.
Annexe – L’œuvre de René Guénon et les milieux universitaires.
il n’y a rien de tel que l’abus de l’érudition pour borner étroitement l’« horizon intellectuel » d’un homme et l’empêcher de voir clair en certaines choses ; cela ne permet-il pas de comprendre pourquoi les méthodes qui font de l’érudition une fin en elle-même sont rigoureusement imposées par les autorités universitaires ?
L’Erreur spirite (1923), Conclusion.
Comment ne s’aperçoit-on pas que la prétendue « science des religions », telle qu’elle est enseignée dans les milieux universitaires, n’a jamais été en réalité autre chose qu’une machine de guerre dirigée contre la religion et, plus généralement, contre tout ce qui peut subsister encore de l’esprit traditionnel, que veulent naturellement détruire ceux qui dirigent le monde moderne dans un sens qui ne peut aboutir qu’à une catastrophe ?
La Réforme de la Mentalité moderne, Regnabit, juin, 1926.
« la “culture” universitaire » « est bien le type le plus accompli » de « la pseudo-intellectualité »
Études traditionnelles, avril 1936, comptes rendus de livres, Guido Cavalluci. – L’Intelligenza come forza rivoluzionaria.
nous n’avons que mépris pour les théories universitaires
Voile d’Isis, décembre 1932, comptes rendus de revues.
Dans le Symbolisme […] Dans le numéro de janvier, François Ménard examine les difficultés qu’il y a à faire comprendre la Notion de Connaissance ésotérique dans le monde moderne, et surtout aux esprit imbus des préjugés dus à la « culture » universitaire ; il fait remarquer très justement que tous les « progrès » des sciences telles qu’on les conçoit aujourd’hui ne font pas avancer d’un pas dans la voie de la véritable connaissance, et aussi que, contrairement à la prétention de tout exprimer en termes clairs (qu’il impute au « matérialisme scientifique », mais qui est en réalité d’origine cartésienne), il y a toujours lieu de réserver la part de l’inexprimable, dont la connaissance constitue proprement l’ésotérisme au sens le plus strict de ce mot.
Études traditionnelles, février 1938, comptes rendus de revues.
que nous en soyons arrivé à être considéré comme un « danger » à la fois par les orientalistes « officiels ou universitaires » et par les « Illuminés d’Occident », théosophistes et occultistes de toute catégorie, c’est là une constatation qui ne peut certainement que nous faire plaisir, car cela prouve que les uns et les autres se sentent atteints et craignent de voir sérieusement compromis le crédit dont ils ont joui jusqu’ici auprès de leurs « clientèles » respectives…
Études traditionnelles, juillet-août 1949, comptes rendus de revues.
CHAPITRE XXXIII – Connaissance initiatique et « culture » profane
Nous avons déjà fait remarquer précédemment qu’il faut bien se garder de toute confusion entre la connaissance doctrinale d’ordre initiatique, même lorsqu’elle n’est encore que théorique et simplement préparatoire à la « réalisation », et tout ce qui est instruction purement extérieure ou savoir profane, qui est en réalité sans aucun rapport avec cette connaissance. Cependant, nous devons insister encore plus spécialement sur ce point, car nous n’avons eu que trop souvent à en constater la nécessité : il faut en finir avec le préjugé trop répandu qui veut que ce qu’on est convenu d’appeler la « culture », au sens profane et « mondain », ait une valeur quelconque, ne fût-ce qu’à titre de préparation, vis-à-vis de la connaissance initiatique, alors qu’elle n’a et ne peut avoir véritablement aucun point de contact avec celle-ci.
En principe, il s’agit bien là, purement et simplement, d’une absence de rapport : l’instruction profane, à quelque degré qu’on l’envisage, ne peut servir en rien à la connaissance initiatique, et (toutes réserves faites sur la dégénérescence intellectuelle qu’implique l’adoption du point de vue profane lui-même) elle n’est pas non plus incompatible avec elle (1) ; elle apparaît uniquement, à cet égard, comme une chose indifférente, au même titre que l’habileté manuelle acquise dans l’exercice d’un métier mécanique, ou encore que la « culture physique » qui est si fort à la mode de nos jours. Au fond, tout cela est exactement du même ordre pour qui se place au point de vue qui nous occupe ; mais le danger est de se laisser prendre à l’apparence trompeuse d’une prétendue « intellectualité » qui n’a absolument rien à voir avec l’intellectualité pure et véritable, et l’abus constant qui est fait précisément du mot « intellectuel » par nos contemporains suffit à prouver que ce danger n’est que trop réel. Il en résulte souvent, entre autres inconvénients, une tendance à vouloir unir ou plutôt mêler entre elles des choses qui sont d’ordre totalement différent ; sans reparler à ce propos de l’intrusion d’un genre de « spéculation » tout profane dans certaines organisations initiatiques occidentales, nous rappellerons seulement la vanité, que nous avons eu maintes occasions de signaler, de toutes les tentatives faites pour établir un lien ou une comparaison quelconque entre la science moderne et la connaissance traditionnelle (2). Certains vont même, en ce sens, jusqu’à prétendre trouver dans la première des « confirmations » de la seconde, comme si celle-ci, qui repose sur les principes immuables, pouvait tirer le moindre bénéfice d’une conformité accidentelle et tout extérieure avec quelques-uns des résultats hypothétiques et sans cesse changeants de cette recherche incertaine et tâtonnante que les modernes se plaisent à décorer du nom de « science » ! Mais ce n’est pas sur ce côté de la question que nous avons à insister surtout présentement, ni même sur le danger qu’il peut y avoir, lorsqu’on accorde une importance exagérée à ce savoir inférieur (et souvent même tout à fait illusoire), d’y consacrer toute son activité au détriment d’une connaissance supérieure, dont la possibilité même arrivera ainsi à être totalement méconnue ou ignorée. On ne sait que trop que ce cas est en effet celui de l’immense majorité de nos contemporains ; et, pour ceux-là, la question d’un rapport avec la connaissance initiatique, ou même traditionnelle en général, ne se pose évidemment plus, puisqu’ils ne soupçonnent même pas l’existence d’une telle connaissance. Mais, sans même aller jusqu’à cet extrême, l’instruction profane peut constituer bien souvent en fait, sinon en principe, un obstacle à l’acquisition de la véritable connaissance, c’est-à-dire tout le contraire d’une préparation efficace, et cela pour diverses raisons sur lesquelles nous devons maintenant nous expliquer un peu plus en détail. D’abord, l’éducation profane impose certaines habitudes mentales dont il peut être plus ou moins difficile de se défaire par la suite ; il n’est que trop aisé de constater que les limitations et même les déformations qui sont l’ordinaire conséquence de l’enseignement universitaire sont souvent irrémédiables ; et, pour échapper entièrement à cette fâcheuse influence, il faut des dispositions spéciales qui ne peuvent être qu’exceptionnelles. Nous parlons ici d’une façon tout à fait générale, et nous n’insisterons pas sur tels inconvénients plus particuliers, comme l’étroitesse de vues qui résulte inévitablement de la « spécialisation », ou la « myopie intellectuelle » qui est l’habituel accompagnement de l’« érudition » cultivée pour elle-même ; ce qu’il est essentiel d’observer, c’est que, si la connaissance profane en elle-même est simplement indifférente, les méthodes par lesquelles elle est inculquée sont en réalité la négation même de celles qui ouvrent l’accès à la connaissance initiatique.
Ensuite, il faut tenir compte, comme d’un obstacle qui est loin d’être négligeable, de cette sorte d’infatuation qui est fréquemment causée par un prétendu savoir, et qui est même, chez bien des gens, d’autant plus accentuée que ce savoir est plus élémentaire, inférieur et incomplet ; d’ailleurs, même sans sortir des contingences de la « vie ordinaire », les méfaits de l’instruction primaire à cet égard sont aisément reconnus de tous ceux que n’aveuglent pas certaines idées préconçues. Il est évident que, de deux ignorants, celui qui se rend compte qu’il ne sait rien est dans une disposition beaucoup plus favorable à l’acquisition de la connaissance que celui qui croit savoir quelque chose ; les possibilités naturelles du premier sont intactes, pourrait-on dire, tandis que celles du second sont comme « inhibées » et ne peuvent plus se développer librement. D’ailleurs, même en admettant une égale bonne volonté chez les deux individus considérés, il n’en resterait pas moins, dans tous les cas, que l’un d’eux aurait tout d’abord à se débarrasser des idées fausses dont son mental est encombré, tandis que l’autre serait tout au moins dispensé de ce travail préliminaire et négatif, qui représente un des sens de ce que l’initiation maçonnique désigne symboliquement comme le « dépouillement des métaux ».
On peut s’expliquer facilement par là un fait que nous avons eu fréquemment l’occasion de constater en ce qui concerne les gens dits « cultivés » ; on sait ce qui est entendu communément par ce mot : il ne s’agit même pas là d’une instruction tant soit peu solide, si limitée et si inférieure qu’en soit la portée, mais d’une « teinture » superficielle de toute sorte de choses, d’une éducation surtout « littéraire », en tout cas purement livresque et verbale, permettant de parler avec assurance de tout, y compris ce qu’on ignore le plus complètement, et susceptible de faire illusion à ceux qui, séduits par ces brillantes apparences, ne s’aperçoivent pas qu’elles ne recouvrent que le néant. Cette « culture » produit généralement, à un autre niveau, des effets assez comparables à ceux que nous rappelions tout à l’heure au sujet de l’instruction primaire ; il y a certes des exceptions, car il peut arriver que celui qui a reçu une telle « culture » soit doué d’assez heureuses dispositions naturelles pour ne l’apprécier qu’à sa juste valeur et ne point en être dupe lui-même ; mais nous n’exagérons rien en disant que, en dehors de ces exceptions, la grande majorité des gens « cultivés » doivent être comptés parmi ceux dont l’état mental est le plus défavorable à la réception de la véritable connaissance. Il y a chez eux, vis-à-vis de celle-ci, une sorte de résistance souvent inconsciente, parfois aussi voulue ; ceux mêmes qui ne nient pas formellement, de parti pris et a priori, tout ce qui est d’ordre ésotérique ou initiatique, témoignent du moins à cet égard d’un manque d’intérêt complet, et il arrive même qu’ils affectent de faire étalage de leur ignorance de ces choses, comme si elle était à leurs propres yeux une des marques de la supériorité que la « culture » est censée leur conférer ! Qu’on ne croie pas qu’il y ait là de notre part la moindre intention caricaturale ; nous ne faisons que dire exactement ce que nous avons vu en maintes circonstances, non seulement en Occident, mais même en Orient, où d’ailleurs ce type de l’homme « cultivé » a heureusement assez peu d’importance, n’ayant fait son apparition que très récemment et comme produit d’une certaine éducation « occidentalisée », d’où il résulte, notons-le en passant, que cet homme « cultivé » est nécessairement en même temps un « moderniste » (3). La conclusion à tirer de là, c’est que les gens de cette sorte sont tout simplement les moins « initiables » des profanes, et qu’il serait parfaitement déraisonnable de tenir le moindre compte de leur opinion, ne fût-ce que pour essayer d’y adapter la présentation de certaines idées ; du reste, il convient d’ajouter que le souci de l’« opinion publique » en général est une attitude aussi « anti-initiatique » que possible.
[…]
---
1 – Il est évident que, notamment, celui qui reçoit dès son enfance l’instruction profane et « obligatoire » dans les écoles ne saurait en être tenu pour responsable, ni être regardé pour cela comme « disqualifié » pour l’initiation ; toute la question est de savoir quelle « empreinte » il en gardera par la suite, car c’est là ce qui dépend réellement de ses possibilités propres.
2 – Cf. notamment Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XVIII et XXXII.
3 – Sur les rapports de ce « modernisme » avec l’opposition à tout ésotérisme, voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XI.
Aperçus sur l’Initiation (1946). Nous avons déjà fait remarquer précédemment qu’il faut bien se garder de toute confusion entre la connaissance doctrinale d’ordre initiatique, même lorsqu’elle n’est encore que théorique et simplement préparatoire à la « réalisation », et tout ce qui est instruction purement extérieure ou savoir profane, qui est en réalité sans aucun rapport avec cette connaissance. Cependant, nous devons insister encore plus spécialement sur ce point, car nous n’avons eu que trop souvent à en constater la nécessité : il faut en finir avec le préjugé trop répandu qui veut que ce qu’on est convenu d’appeler la « culture », au sens profane et « mondain », ait une valeur quelconque, ne fût-ce qu’à titre de préparation, vis-à-vis de la connaissance initiatique, alors qu’elle n’a et ne peut avoir véritablement aucun point de contact avec celle-ci.
En principe, il s’agit bien là, purement et simplement, d’une absence de rapport : l’instruction profane, à quelque degré qu’on l’envisage, ne peut servir en rien à la connaissance initiatique, et (toutes réserves faites sur la dégénérescence intellectuelle qu’implique l’adoption du point de vue profane lui-même) elle n’est pas non plus incompatible avec elle (1) ; elle apparaît uniquement, à cet égard, comme une chose indifférente, au même titre que l’habileté manuelle acquise dans l’exercice d’un métier mécanique, ou encore que la « culture physique » qui est si fort à la mode de nos jours. Au fond, tout cela est exactement du même ordre pour qui se place au point de vue qui nous occupe ; mais le danger est de se laisser prendre à l’apparence trompeuse d’une prétendue « intellectualité » qui n’a absolument rien à voir avec l’intellectualité pure et véritable, et l’abus constant qui est fait précisément du mot « intellectuel » par nos contemporains suffit à prouver que ce danger n’est que trop réel. Il en résulte souvent, entre autres inconvénients, une tendance à vouloir unir ou plutôt mêler entre elles des choses qui sont d’ordre totalement différent ; sans reparler à ce propos de l’intrusion d’un genre de « spéculation » tout profane dans certaines organisations initiatiques occidentales, nous rappellerons seulement la vanité, que nous avons eu maintes occasions de signaler, de toutes les tentatives faites pour établir un lien ou une comparaison quelconque entre la science moderne et la connaissance traditionnelle (2). Certains vont même, en ce sens, jusqu’à prétendre trouver dans la première des « confirmations » de la seconde, comme si celle-ci, qui repose sur les principes immuables, pouvait tirer le moindre bénéfice d’une conformité accidentelle et tout extérieure avec quelques-uns des résultats hypothétiques et sans cesse changeants de cette recherche incertaine et tâtonnante que les modernes se plaisent à décorer du nom de « science » ! Mais ce n’est pas sur ce côté de la question que nous avons à insister surtout présentement, ni même sur le danger qu’il peut y avoir, lorsqu’on accorde une importance exagérée à ce savoir inférieur (et souvent même tout à fait illusoire), d’y consacrer toute son activité au détriment d’une connaissance supérieure, dont la possibilité même arrivera ainsi à être totalement méconnue ou ignorée. On ne sait que trop que ce cas est en effet celui de l’immense majorité de nos contemporains ; et, pour ceux-là, la question d’un rapport avec la connaissance initiatique, ou même traditionnelle en général, ne se pose évidemment plus, puisqu’ils ne soupçonnent même pas l’existence d’une telle connaissance. Mais, sans même aller jusqu’à cet extrême, l’instruction profane peut constituer bien souvent en fait, sinon en principe, un obstacle à l’acquisition de la véritable connaissance, c’est-à-dire tout le contraire d’une préparation efficace, et cela pour diverses raisons sur lesquelles nous devons maintenant nous expliquer un peu plus en détail. D’abord, l’éducation profane impose certaines habitudes mentales dont il peut être plus ou moins difficile de se défaire par la suite ; il n’est que trop aisé de constater que les limitations et même les déformations qui sont l’ordinaire conséquence de l’enseignement universitaire sont souvent irrémédiables ; et, pour échapper entièrement à cette fâcheuse influence, il faut des dispositions spéciales qui ne peuvent être qu’exceptionnelles. Nous parlons ici d’une façon tout à fait générale, et nous n’insisterons pas sur tels inconvénients plus particuliers, comme l’étroitesse de vues qui résulte inévitablement de la « spécialisation », ou la « myopie intellectuelle » qui est l’habituel accompagnement de l’« érudition » cultivée pour elle-même ; ce qu’il est essentiel d’observer, c’est que, si la connaissance profane en elle-même est simplement indifférente, les méthodes par lesquelles elle est inculquée sont en réalité la négation même de celles qui ouvrent l’accès à la connaissance initiatique.
Ensuite, il faut tenir compte, comme d’un obstacle qui est loin d’être négligeable, de cette sorte d’infatuation qui est fréquemment causée par un prétendu savoir, et qui est même, chez bien des gens, d’autant plus accentuée que ce savoir est plus élémentaire, inférieur et incomplet ; d’ailleurs, même sans sortir des contingences de la « vie ordinaire », les méfaits de l’instruction primaire à cet égard sont aisément reconnus de tous ceux que n’aveuglent pas certaines idées préconçues. Il est évident que, de deux ignorants, celui qui se rend compte qu’il ne sait rien est dans une disposition beaucoup plus favorable à l’acquisition de la connaissance que celui qui croit savoir quelque chose ; les possibilités naturelles du premier sont intactes, pourrait-on dire, tandis que celles du second sont comme « inhibées » et ne peuvent plus se développer librement. D’ailleurs, même en admettant une égale bonne volonté chez les deux individus considérés, il n’en resterait pas moins, dans tous les cas, que l’un d’eux aurait tout d’abord à se débarrasser des idées fausses dont son mental est encombré, tandis que l’autre serait tout au moins dispensé de ce travail préliminaire et négatif, qui représente un des sens de ce que l’initiation maçonnique désigne symboliquement comme le « dépouillement des métaux ».
On peut s’expliquer facilement par là un fait que nous avons eu fréquemment l’occasion de constater en ce qui concerne les gens dits « cultivés » ; on sait ce qui est entendu communément par ce mot : il ne s’agit même pas là d’une instruction tant soit peu solide, si limitée et si inférieure qu’en soit la portée, mais d’une « teinture » superficielle de toute sorte de choses, d’une éducation surtout « littéraire », en tout cas purement livresque et verbale, permettant de parler avec assurance de tout, y compris ce qu’on ignore le plus complètement, et susceptible de faire illusion à ceux qui, séduits par ces brillantes apparences, ne s’aperçoivent pas qu’elles ne recouvrent que le néant. Cette « culture » produit généralement, à un autre niveau, des effets assez comparables à ceux que nous rappelions tout à l’heure au sujet de l’instruction primaire ; il y a certes des exceptions, car il peut arriver que celui qui a reçu une telle « culture » soit doué d’assez heureuses dispositions naturelles pour ne l’apprécier qu’à sa juste valeur et ne point en être dupe lui-même ; mais nous n’exagérons rien en disant que, en dehors de ces exceptions, la grande majorité des gens « cultivés » doivent être comptés parmi ceux dont l’état mental est le plus défavorable à la réception de la véritable connaissance. Il y a chez eux, vis-à-vis de celle-ci, une sorte de résistance souvent inconsciente, parfois aussi voulue ; ceux mêmes qui ne nient pas formellement, de parti pris et a priori, tout ce qui est d’ordre ésotérique ou initiatique, témoignent du moins à cet égard d’un manque d’intérêt complet, et il arrive même qu’ils affectent de faire étalage de leur ignorance de ces choses, comme si elle était à leurs propres yeux une des marques de la supériorité que la « culture » est censée leur conférer ! Qu’on ne croie pas qu’il y ait là de notre part la moindre intention caricaturale ; nous ne faisons que dire exactement ce que nous avons vu en maintes circonstances, non seulement en Occident, mais même en Orient, où d’ailleurs ce type de l’homme « cultivé » a heureusement assez peu d’importance, n’ayant fait son apparition que très récemment et comme produit d’une certaine éducation « occidentalisée », d’où il résulte, notons-le en passant, que cet homme « cultivé » est nécessairement en même temps un « moderniste » (3). La conclusion à tirer de là, c’est que les gens de cette sorte sont tout simplement les moins « initiables » des profanes, et qu’il serait parfaitement déraisonnable de tenir le moindre compte de leur opinion, ne fût-ce que pour essayer d’y adapter la présentation de certaines idées ; du reste, il convient d’ajouter que le souci de l’« opinion publique » en général est une attitude aussi « anti-initiatique » que possible.
[…]
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1 – Il est évident que, notamment, celui qui reçoit dès son enfance l’instruction profane et « obligatoire » dans les écoles ne saurait en être tenu pour responsable, ni être regardé pour cela comme « disqualifié » pour l’initiation ; toute la question est de savoir quelle « empreinte » il en gardera par la suite, car c’est là ce qui dépend réellement de ses possibilités propres.
2 – Cf. notamment Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XVIII et XXXII.
3 – Sur les rapports de ce « modernisme » avec l’opposition à tout ésotérisme, voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XI.
Correspondance à Noële Maurice-Denis Boulet :
ce n’est pas dans les milieux universitaires que je compte trouver jamais la moindre compréhension des choses métaphysiques.
03/01/1918. Correspondance à Guido de Giorgio :
Nous sommes tout à fait d’accord sur le compte des Orientaux plus ou moins occidentalisés, qui sont en effet inexcusables, et que je regarde, pour ma part, comme de simples Occidentaux. Le malheur est que leurs noms font illusion à bien des gens qui, ne connaissant pas d’autres Orientaux, croient que ceux-là sont vraiment “représentatifs”, alors qu’ils ne le sont nullement. Quelqu’un me déclarait un jour qu’il ne croyait même pas à l’existence actuelle d’Orientaux attachés à leur tradition, parce qu’il n’en avait rencontré aucun ; il n’avait jamais vu, en fait d’Orientaux, que des étudiants de la Sorbonne ou des personnages fréquentant les milieux plus ou moins universitaires ! Du reste, je suis persuadé que même de vrais Orientaux ne lui auraient jamais dit ce qu’ils pensaient, car ils auraient estimé que ce serait parfaitement inutile.
[…]
Il semblait que la guerre aurait dû être une bonne occasion de se débarrasser de la mentalité allemande, mais il faut croire que la chose est bien difficile, car les gens qui ont été habitués à certaines méthodes ne peuvent plus s’en défaire ; il faudrait changer tout le personnel universitaire pour arriver à quelque chose à cet égard.
12/10/1924.
Les universitaires sont bien les mêmes dans tous les pays, et rien ne peut m’étonner de leur part en fait d’incompréhension et de parti pris ; j’ai toujours pensé que c’était le milieu où il y avait le moins de possibilités, à cause de la déformation mentale qui leur est imposée par l’éducation qu’ils ont reçue.
06/05/1936. Correspondance au docteur Favre :
La réponse que vous avez reçu de L. Lavelle est bien, en somme, celle qu’on pouvait attendre d’un “universitaire” tel que lui ; on ne peut même pas espérer éveiller un intérêt quelconque chez ces gens-là, ni les sortir de leurs pseudo-problèmes… Je me demande toujours, d’autre part, jusqu’à quel point des philosophes tels que ce Jospers (que j’ignorais tout à fait) comprennent eux-mêmes ce qu’ils disent, et si l’influence orientale, quand elle existe, va plus loin qu’un simple emprunt de formules qui restent pour eux purement verbales.
31/05/1935. Correspondance à Ananda K. Coomaraswamy :
Ce que vous me dites de ce petit groupe de bonne volonté à Harvard indique qu’il y a peut-être quelque chose à faire dans ce milieu, bien que, naturellement, il ne faille pas s’attendre à ce que la majorité puisse jamais être dans ces dispositions, si contraire en somme à ce qu’est l’esprit universitaire en général et dans tous les pays !
14/12/1936.
J’ai reçu aussi, il y a quelques jours, les prospectus du “Journal of Parapsychology” ; j’avais déjà vu précédemment quelques articles sur ces expériences d’“ESP”. Il est assez curieux de voir que des universitaires commencent à s’intéresser à ces questions, autrement que pour tout nier ; seulement, je ne crois pas que les méthodes qu’ils emploient puissent jamais les mener bien loin…
18/06/1938.
L’accueil fait à “The nature of mediaeval art” est assez surprenant en effet ; je me demande comme vous, surtout quand il s’agit des milieux universitaires, jusqu’à quel point certaines gens comprennent les choses, et s’ils ne s’en tiennent pas souvent à une impression plus ou moins superficielle…
10/04/1940 Correspondance à Louis Cattiaux :
Sûrement, l’intelligence et la compréhension des milieux littéraires ne vont pas loin, et on peut aussi en dire autant de celle des milieux universitaires ; aussi ne suis-je pas surpris de la sottise prodigieuse que vous avez relevée dans la préface de cette traduction du Corân dont j’ignorais jusqu’ici l’existence, de même que j’ignorais tout à fait le nom d’Octave Pesle ; on peut véritablement s’attendre à tout de la part de ces gens là. C’est risible en effet, mais c’est dangereux aussi, parce que le commun des lecteurs croit trop facilement à la compétence de ces imbéciles diplômés et accepte aveuglément toutes leurs idées fausses. On ne saura jamais tout le mal que les orientalistes ont fait à ce point de vue, et à quel point ils ont empêché toute véritable compréhension des doctrines traditionnelles chez bien des gens qui en auraient été capables s’ils n’avaient pas subi l’influence de leurs écrits ; ils ne font d’ailleurs en cela, quoique inconsciemment le plus souvent, que remplir très exactement le rôle qui leur est assigné dans l’entreprise de la falsification de la mentalité actuelle…
07/02/1949. Mise à jour : droit de réponse ? (14/10/2015)
https://oeuvre-de-rene-guenon.blogspot.fr/2015/10/profanation-universitaire-nouvelle.html
Merci tagada de ce précieux décryptage.
RépondreSupprimerContrairement aux annonces, la subversion de l'œuvre se poursuit et en fait, s'aggrave à un degré jamais atteint. A quoi faut-il s'attendre pour le deuxième coup de canon ?
Avez-vous depuis été contacté par la maison d'édition ou la fondation suscitée ?
Merci à vous, pour la suite je ne sais pas, si la même logique est suivie probablement une autre réédition avec un remodelage similaire.
RépondreSupprimerPour quelle raison pensez-vous que l'on aurait pu prendre la peine de me contacter ?
Aux universitaires votre conclusion adresse quelques questions ; par ailleurs elle appelle le rédacteur de la préface à vous soumettre une "réponse de fond".
RépondreSupprimerJe n'attends pas spécialement de réponse, et je doute qu'il y en ait une.
RépondreSupprimerIl y a plus d'un an, un quiproquo a fait que les parties "note" et "annexe" m'ont été envoyées par erreur, une partie des points soulevés ci-dessus dans la partie 3 avait déjà été signalée en privé au préfacier à l'époque, qui a quand même décidé de publier son texte sans en changer une virgule, avec tout le reste en prime.
Du même acabit, à noter le recueil édité il y a peu, dirigé par M.Faure regroupant toujours les mêmes énergumènes JP Laurant et cie. A éviter également.
RépondreSupprimerOn annonce à paraître l'Esotérisme de Dante, version "définitive", sur le site de Gallimard ! Le massacre va-t-il continuer?
RépondreSupprimerEspérons que non...
RépondreSupprimerMerci pour les deux signalements précédents.
Pour info
RépondreSupprimerhttp://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tradition-nouvelle-serie/L-esoterisme-de-Dante
Reproduction de l'annonce déjà vue et une dizaine de pages d'annexes annoncées dans la table des matières
Merci, en effet.
RépondreSupprimerIls ont retiré un § à l'annonce du début, et rajouté un titre de séparation entre l'annonce et le livre. Les membres de la "fondation" seraient donc influencés par cet article, malgré leur mutisme ? Pourtant ils ne semblent pas avoir renoncé à leur projet de sabotage.